Paul Verlaine, Romances sans paroles,
« Paysages belges », « Malines », 1874
Verlaine,
né en 1844 et mort en 1896, est un poète de la seconde moitié du XIXème
siècle qui appartient au mouvement symboliste. Sa rencontre avec Rimbaud fut décisif, il abandonna son épouse et
vagabonda avec lui à travers la Belgique et l’Angleterre entre 1871 et 1873.
L’écho de leur errance se retrouve dans le recueil Romances sans paroles
publié en 1874 alors que Verlaine est emprisonné à Mons, en Belgique pour avoir
tiré sur Rimbaud. Dans le poème « Malines » écrit en 1972, poème qui
clôt la section « Paysage belges », il décrit un paysage rural vu derrière les
vitres d’un train. En quoi réside la modernité de ce poème ? Pour répondre
à cette question, nous verrons tout d’abord que ce poème traite d’un sujet
traditionnel à savoir un tableau rural, puis nous étudierons la modernité de ce
poème.
I.
Un sujet apparemment traditionnel
: un tableau rural.
1.
Composantes
du tableau
Les
éléments qui montre qu’il s’agit d’un paysage rural / traditionnel sont « les prés » vers 1, « château » vers 3, « les arbres » vers 6, « les vaches » vers 13, « taureaux » vers 14.
Il
s’agit d’un paysage du Nord : « brique
rouge et bleu d’ardoise » vers 4 ; « les
frênes » vers 7, le « trèfle »
et la « luzerne », vers 10, sont des
cultures / végétations implantées dans le Nord.
Il
s’agit plus précisément d’un paysage belge mis en évidence avec le titre « Malines » désigne une ville belge et le
vocabulaire belge « échevin » qui
correspond à un magistrat en Belgique.
Nous
avons donc affaire à un paysage rural, traditionnel d’Europe du Nord et plus
précisément de Belgique.
2.
Tableau
Le paysage
est pittoresque. Cela est mis en évidence avec les termes comme « détail fin » vers 2, les couleurs
primaires fortes / vives plaisante et attrayante (« rouge » et « bleu », vers
4). La couleur plaisante verte est évoquée de manière connotée par les « près »
et suggéré par la préposition « vers
» qui indique une direction mais qui, étant mis en parallèle avec le rouge et
le bleu, indique également la couleur verte.
Mais
les couleurs vives laissent place au blanc avec « blancs gazons » au
vers 10, comme si le poète effaçait le tableau coloré qu’il avait décrit dans
le premier quintil.
Dans
le troisième quintil, les couleurs font leur retour avec l’adjectif « irisés » : dans le ciel, toutes les
couleurs sont réunies, ce qui provoque une harmonie et une synthèse des
couleurs du tableau.
Les
lignes du tableau sont à dominante horizontale : « près » vers 1 et 5, « horizons
» vers 8, « prairies » vers 9, « plaines » vers 14 ; mais néanmoins
agrémentées de quelques éléments verticaux : « girouettes », vers 2, « du
château » vers 3, « arbres » vers 6, « frênes » vers 7.
C’est
donc un poème qui peint un paysage traditionnel, mais la présence du train va
transformer la vision du paysage.
II.
Le renouvellement du motif par la
présence du train.
1.
Le
train.
Dans
ce décor, Verlaine introduit un élément symbole de la modernité à l’époque à
savoir le train, qui arrive au milieu du poème, au début du troisième et surtout
dans quatrième quintil: « les wagons »
au vers 11 et 17, « le train » au
vers 16.
Il est
en mouvement horizontal avec les verbes de mouvement « filent » vers 11 et « glisse »
vers 16. Son mouvement est, à la fois, rapide, léger, fluide « filent » vers 11 qui s’inscrit dans le
paysage avec douceur sans le brusquer. Le train s’intègre donc bien dans le
paysage.
2.
Une
vision métamorphosée du paysage
Le
paysage est vu depuis le train par le poète. La vitesse et le mouvement donnent
de la réalité extérieure, une vision métamorphosée à savoir :
- un
paysage sans limite. La préposition « vers
» vers 1 et 5 au lieu de « dans »
indique qu’il se dirige vers un ailleurs. Le verbe « Echelonnent » au vers 8, témoigne d’un mouvement régulier vers
l’ailleurs. Il n’y a pas non plus de référence à une vitre qui encadrerait le
paysage.Il n’y a pas de cadre : le paysage change sans arrêt et il est aussi
illimité avec le terme « sans
fin » et les « … » au vers 5
qui terminent le quintil. L’hyperbole « mille
horizons » au vers 8 qui décrit le paysage comme étant multiplié et étendu
à l’infini. La métaphore qui associe le « Sahara
» aux « prairies » vers 9 montre
que l’horizon n’est pas fixe mais est en perpétuel mouvement. - un paysage flou
avec l’hypallage au vers 3 « Rouge de
brique et bleu d’ardoise » qui nous fait percevoir la couleur et pas la
forme. Les termes comme « près sans fin
» vers 5 et « Vague frondaison » vers
7 met en évidence qu’il y a pas de dessins, ni de contours délimités.
- un
paysage à dimension fantastique. La personnification du vent « le vent cherche noise aux girouettes »
vers 1, avec le jeu de mot « noise »
signifiant bruit en anglais et qui donne aux paysages une féérie. L’hyperbole «
milles horizons » vers 8 décrit un paysage multiplié. La métaphore au vers
9, entre « Sahara » qui installe le
décor dans l’illusoire et « prairie »
qui sous-entend le paysage belge, rapproche des paysages que tout oppose
(l’aridité contre humidité, la richesse et la productivité). L’oxymore de
couleur sur « blanc gazons » vers 10, est due au soleil ou
au fait que les couleurs s’estompent avec la vitesse. L’impératif transmet
l’idée d’une puissance surnaturelle qu’aurait le passager du train :
« dormez, les vaches ! Reposez,
/ Doux taureaux » vers 13 à
14. L’oxymore « doux taureaux » vers 14, crée un paradoxe,
puisqu’un taureau représente l’idée de force alors que là il est associé à
l’adjectif « doux ».
3.
La
relativité du mouvement.
Ce que
nous montre aussi l’auteur, c’est la relativité du mouvement.
Dans
les trois premiers quintils, la description est faite d’une vue extérieure du
wagon, ce qui donne sur un paysage en mouvement.
Dans
le quatrième quintil et plus particulièrement à partir du vers 17 : l’intérieur
du train est décrit : « wagons »
au vers 17. Le paysage extérieur disparait et le mouvement avec lui, ce qui est
mis en évidence avec l’allitération en –on « wagon », « salon »
vers 17, « l’on », « l’on » vers 18, « Fénelon » vers 20, qui donne
l’impression d’être dans un cocon immobile dans lequel nous sommes protégés du
monde extérieur et où nous assistons à un paysage silencieux. Le wagon est
également un espace protégé où se trouve réconcilier la nature et la culture /
écriture avec les mots « nature »
vers 19 et « Fénelon » vers 20.
Conclusion : Ce poème est révélateur de la
modernité de Verlaine, qui parvient à peindre une nouvelle forme d’impression :
le mouvement. La vision du paysage est totalement renouvelée par la vitesse du
train. De plus, grâce à l’écriture poétique, le poète réconcilie la nature, la
culture et le progrès (train), ce qui forme un ensemble harmonieux.
Etude
d’ensemble :
le poème est composé :
-
d’octosyllabes
-
de
rime embrassée
-
de
quatre quintiles
C’est donc un poème court de
forme conventionnelle.
Sujet Il s’agit d’une description d’un
paysage de campagne apaisant, traditionnel et conventionnel (vaches, châteaux,
briques rouges, près) avec un élément de modernité et de contraste à savoir le
train du XIXème siècle. Au lieu d’être vu figé, nous allons voir un
paysage en mouvement avec la vitesse du train. Le train renouvelle la vision du
monde en nous permettant de voir le paysage en mouvement.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Publier un commentaire :