Rimbaud, Les Illuminations, « Les Ponts », 1886
Arthur Rimbaud
est un poète
français,
né en 1854
et mort en 1891.
Bien que brève, la densité de son œuvre poétique fait de lui une des figures
considérables de la littérature française. Ses principales œuvres sont Le Bateau ivre, Une saison en enfer, Illuminations. Ce dernier
est un recueil de poèmes en prose,
publié en 1886 par les soins de Verlaine qui choisit le titre de l'œuvre. Les
poèmes ont cependant été composés bien avant, entre 1873 et 1875, juste après
la rupture entre les deux poètes. Le poème « Les ponts » se rattache
à l'ensemble de poèmes liés au thème de la ville, inspiré à Rimbaud par son
séjour à Londres avec Verlaine en 1872. En quoi ce poème est-il caractéristique
de la poésie symboliste ? Pour répondre à cette question, nous
étudierons ce qui fait la modernité du poème, puis nous verrons que ce poème
est à la fois une création verbale, poétique, polysémique.
I.
Un poème moderne par sa forme et
par le tableau qu'il dépeint
1.
La
modernité du poème
La
modernité du poème vient tout d'abord de sa forme : un poème en prose. En
effet, le poème se présente comme un bloc textuel autonome, clos, bien
délimité, dont le contenu est orienté par le titre (pas de vers, de strophes...).
Le poème en prose est une forme poétique inventée par les romantiques et
développée par Baudelaire et les poètes symbolistes.
2.
Le
poème donne à voir un tableau moderne
a.
La description
Les
phrases nominales du début du texte, l'emploi du verbe d'état « est » (ligne 9) indiquent que le
discours est descriptif.
La
réalité décrite est moderne : les « ponts »
ligne 1, les « circuits éclairés du
canal » ligne 3 grâce à l'électricité, « des signaux » ligne
6.
Mais
le paysage urbain n'est pas donné à voir directement. Le poète décrit un
tableau ou un dessin où les ponts occupent une position centrale et symbolique
reliant les deux rives et à mi-chemin entre le ciel et l'eau. Les ponts font le
lien entre 3 trois éléments : terre, ciel et eau.
b. Le genre
pictural qu’est le dessin
En
effet le vocabulaire du dessin apparaît dès le début du poème : « ciels » (ligne 1) au pluriel ; « un bizarre dessin » (ligne1) : les
lignes, qui s'opposent, forment un dessin complexe avec un mélange de lignes
droites, courbes, verticales, brisées : « ceux-ci droits, ceux-là bombés, d'autres descendant ou obliquant en
angles » (ligne 1 et 2).
L'abondance
et la précision des détails entraînent une difficulté de figuration : le
tableau devient un espace où s'entrecroisent des formes géométriques pures. La
perte de repères est accentuée par les reflets « ces figures se renouvelant » (ligne 2 et 3) : on assiste à une
multiplication à l'infini de ces lignes qui s'opposent; l'allitération en -c
[k] souligne l'effet de reproduction : « circuit
éclairés du canal » (ligne 3). Les ponts semblent innombrables.
Les
couleurs dominantes sont des couleurs froides : « gris de cristal » (ligne 1), « grise et bleue » (ligne 9 à 10),
puis « blanc » (ligne 10), rehaussées
par une touche de « rouge »
(ligne 7) qui est une couleur chaude.
La
qualité de la lumière est précisée par la métaphore « de cristal » (ligne 1) qui sous-entend la transparence, puis vient
la lumière électrique artificielle, le tableau s'achève avec l'irruption du « rayon blanc » ligne 10.
La
palette et la luminosité du tableau rappellent la peinture impressionniste.
Ce
tableau, difficile à se représenter précisément n'est pas la description d'un tableau
réel : le poète crée un tableau avec des mots. Mais ce tableau représente-t- il
seulement les ponts ?
II.
« Les ponts », une création verbale, poétique, polysémique
1.
Du
réalisme au fantastique
Au
début du poème, on relève plusieurs éléments réalistes : « masures » (ligne 5), « signaux » (ligne 6), « parapets » (ligne 6). Certains
ponts, ceux chargés de masures sont anciens, tandis que celui qui porte des
signaux est probablement un pont récent construit pour le chemin de fer.
Mais
le paysage prend aussi une dimension fantastique «bizarre» du fait de l'animation des ponts qui semblent
personnifiés: « descendant »
(ligne 2), « obliquant »
(ligne 2), « se renouvelant »
ligne 3, les participes présents indiquant un mouvement volontaire.
Le
paysage semble subir une distorsion du fait du contraste entre la légèreté des
ponts mise en relief avec une allitération en -l « longs et légers » (ligne 4) et la lourdeur des dômes qui font
s'affaisser les rives : « les rives,
chargées de dômes s'abaissent et s'amoindrissent » (ligne 4).
La
lourdeur est soulignée par la structure de la phrase à savoir la présence de
l’épithète détachée, « chargée de
dômes » (ligne 4) qui alourdit la proposition (il s’agit peut-être
aussi une critique de la religion, évoquée à travers les dômes des églises, qui
alourdit les consciences).
2.
La musique
Surtout, à partir de la ligne 6, la référence
picturale, cède la place à une référence musicale inattendue: « accord mineurs »
(ligne 6), « corde » (ligne
7) qui fait penser aux notes, « instruments
de musique » (ligne 8), « des airs » (ligne 8), « concerts » (ligne 9), « hymnes » (ligne 9). Les genres
musicaux évoqués sont classés dans une gradation ascendante avec le genre
populaire, aristocratique, l’hymne. Le chant solennel ici est patriotique.
L'irruption
de ce champ lexical dans le texte peut être interprétée en imaginant que les
silhouettes des membres d'un orchestre sont représentées sur un pont. Mais
comment représenter « des airs
populaires, des bouts de concerts seigneuriaux, des restants de d’hymnes
publics ? ».
3.
Une autre
lecture du poème se superpose sur la première
Les
accords mineurs qui se croisent rappellent le « bizarre dessin de ponts » ligne 1 : les lignes des ponts
ressemblent à des portées musicales déformées ; les « dômes » (ligne 4) qui chargent les
rives peuvent rappeler les signes ; les « signaux » ligne 6 peuvent se rapporter aux signaux musicaux au
début de la portée ; les « masures »
(ligne 5) et les « mâts »
(ligne 6) ressemblent aux mesures avec leurs sonorités en –m.
Finalement,
le poème semble décrire une partition endommagée dont il ne subsiste que
« des bouts » ligne 9, « des restants » ligne 9. Le poème
donne ainsi à voir la musique, telle qu'elle est écrite.
L'étrange
question des lignes. 8 à 9 exprime la difficulté du déchiffrement, le musicien
étant capable d'entendre instantanément la musique en distinguant les genres.
« Les
cordes » (ligne
7) permettent d'établir un lien, une correspondance entre les deux univers,
pictural et musical (cordes d'amarrage des bateaux, cordes des instruments).
Nous ne lisons plus le poème, nous l’entendons car à
défaut de le décrire, Rimbaud nous le fait écouter.
4.
Interprétation de la dernière phrase
La
dernière phrase du poème crée de nouveau une surprise avec l'apparition d'une
nouvelle référence à la comédie, au théâtre.
Le « rayon blanc » a un caractère
fantastique : s'agit-il de la foudre ? d'une manifestation divine ? comment
interpréter cette fin brutale et théâtrale ? Nous pouvons y voir une marque
d'ironie du poète qui rappelle au lecteur que ce qu'il vient de lire n'a
d'autre réalité que verbale. On peut y voir aussi l'expression de la fragilité
de la création artistique. Surtout, la
dernière phrase rappelle que l'œuvre d'art est toujours « une illumination »,
éblouissante mais éphémère.
Conclusion : Ce poème est
caractéristique du symbolisme. En effet
les ponts eux-mêmes sont des symboles qui expriment l'unité du monde : ils
relient les rives opposées, sont à mi-chemin entre le ciel et l'eau. Le poème « Les ponts » illustre la richesse de la démarche symboliste. Le
poème crée des liens relie des univers différents, celui de la peinture et
celui de la musique, grâce à des correspondances. Il nous fait ainsi accéder à une autre réalité imaginaire et
idéale.
Héritier
de Baudelaire, Rimbaud a su créer un univers poétique tout à fait personnel.
pertinent et préçis
RépondreSupprimerok
RépondreSupprimerRimbaud n'est pas un symboliste. Oubliez aussi l'illusion référentielle avec lui.
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