Français : lecture analytique des 25 premiers vers de « Les Usines », Les Villes Tentaculaires d'Émile Verhaeren




Émile Verhaeren, Les Villes Tentaculaires, « Les Usines », 1895

Emile Verhaeren est poète belge qui est né en 1855 et mort en 1916.  Dans ses premiers recueils, il traite de sujet urbain, de la vie rurale, de paysage. A partir de 1887, il change d‘esthétique en s’intéressant à la modernité. Parallèlement, c’est un poète qui s’est engagé au côté de socialistes : certains de ces poètes laissent comparaitre la compassion de la misère, de la condition ouvrière. En 1895, il publie Les Villes Tentaculaires, un recueil qui s’intéresse à la modernité urbaine. Cependant, il a un aspect négatif d’un monde moderne. Le poème « Les Usines » est composé de 12 strophes et dresse un tableau menaçant mais néanmoins complet et complexe des faubourgs industriels. L’extrait étudié comprend les quatre premières strophes : les strophes 1 à 3 donne sur une vue générale des usines et la strophe 4 est un élargissement, plan d'ensemble. Quelle image poétique Verhaeren donne-t-il des usines dans ce poème moderne ? Pour répondre à cette question, nous verrons le tableau des usines dépeint par ce poème moderne, puis nous étudierons la portée fantastique et poétique des usines.

I.                   Un poème moderne qui fait un tableau des faubourgs industriels

1.             Un poème moderne par sa forme

Tout d’abord, il s’agit d’un poème en vers libres.
Le mètre n’est pas régulier : par exemple au vers 11 à 12 « Et sur les toits, dans le brouillard, aiguillonnées / De fers et de paratonnerres,».
Les rimes sont parfois disposées de manière classique : ils sont plates au début « fenêtres » (vers 1), « salpêtre » (vers 2) mais on note des écarts : au vers 12 « paratonnerres » ne rime avec rien ; au vers 8 « fabriques » rime avec « briques » au vers 7 mais ils ne font pas partie de la même strophe (dans la prosodie classique, on ne fait pas rimer deux vers qui ne sont pas dans la même strophe.)

2.             Un motif moderne

Le titre « Les Usines » annonce un poème moderne. Verhaeren dépeint les « faubourgs » industriels aux vers 5 et 6 ; les « banlieues » : au vers 10 et 15 ; « les quartiers rouillés » au vers 18.
Verhaeren choisit un aspect du paysage urbain souvent négligé, en effet il choisit un espace où ne s'aventurent pas les visiteurs, les bourgeois.

3.             La description met l'accent sur le caractère sinistre de cet espace

a.   La géométrie de l’espace
Tout d’abord, l'espace est géométrique. Cela est mis en valeur avec
- les lignes droites : au vers 3 « droit » et « barre », au vers 9 « les longs murs », au vers 8 « rectangles de granit », l'allitération en -r et -g soulignant la rigidité de cet espace.
- la symétrie : au vers « se regardant », au vers 4 « face à face », au vers 14 « symétriques ». L'utilisation des rimes embrassées dans la strophe 3 souligne l'effet de symétrie.
- l'absence d'horizon, un espace sans fin avec au vers 3 "à l'infini", au vers 10 «  immensément » au vers 15 « à l'infini ».

b.   Les couleurs
Les couleurs émises par le poème sont constitué d’un dégradé du gris au noir avec au vers 4 « ombre et de nuit », au vers 8 « granit » au vers 9 « murs noirs », au vers 11 « brouillard », au vers 14 « yeux noirs », au vers 16 « nuit ».
Le poème émet également l’idée d’un blanc sale avec au vers 2 « eau de poix et de salpêtre », au vers 21 « plâtras blanc », au vers 22 « flore pâle et pourrie ».
La description ressemble à une gravure en noir et blanc abimée par te temps.

c.    Un espace sordide
Cette espace est caractérisé par
- la dégradation avec l’hypallage au vers 1 « les yeux cassés » désignant des carreaux cassés, et « quartiers rouillés », au vers 18, créent une atmosphère lugubre et hostile.
- la pollution de l'eau par la « poix et de salpêtre » au vers 2, des espaces verts au vers 20 à 23 : « Et les squares, où s'ouvre, en des caries / De plâtras blanc et de scories, / Une flore pâle et pourrie ». La métaphore assimile les squares à des « caries » et l'allitération en –p dans « pâle et pourrie » accentue l’image de la décomposition.
- la misère au vers 6 avec allégorie « misère en pleurs de ces faubourgs » et avec l’évocation plus réaliste des femmes qui ressemblent à des fantômes au vers 19 « Et les femmes et leurs guenilles apparues ».

Verhaeren donne une image sans complaisance de la réalité des faubourgs industriels.

II.                Une vision fantastique et poétique des usines

1.             La personnification

a.      Le regard
Le verbe pronominal « se regardant » (vers 1) est employé au participe présent, ce qui indique une action délibérée. La personnification est d’autant plus inquiétante puisque le regard, attribué aux usines est celui d’un aveugle : les yeux sont cassés. L’hypallage avec le participe passé « cassés » associé au mot « yeux », introduit une idée de violence, comme si le regard avait été détruit par un geste brutal. Il ne s’agit pas un aveuglement naturel. Cet image est reprise avec « se regardant de leurs yeux noirs » vers 14.
Le verbe pronominal « se mirant », vers 2, fait écho au « se regardant » vers 1 avec une connotation positive (lexique de la coquetterie), mais le complément circonstanciel de lieu « dans l'eau » indique la valeur ironique du verbe.

b.      La respiration
Les usines sont dotées d’une respiration Au vers 7 « Ronflent terriblement usine et fabriques », le verbe « ronfler », l’allitération en -r « Ronflent », « terriblement », « fabriques »  et l’assonance en -i « terriblement », « usine », « fabriques » miment le bruit d’un ronflement.
La même idée est reprise au vers 16. Le verbe « ronfler » et le parallélisme « le jour, la nuit » traduisent un rythme binaire. La régularité de cette respiration est mimée par la tournure « à l’infini » vers 15 et son ininterruption par les différents lieux évoqués sur différents vers « la banlieue » vers 15, « les usines et les fabriques » vers 17.

Les usines sont assimilées à un monstre inquiétant à la respiration lourde.

2.             L’image d’un affrontement imminent.

La personnification introduit l’image d’un affrontement imminent.
L’hypallage « carreaux cassés », au vers 1, montre qu’un lutte a déjà eu lieu, provisoirement interrompu mais pouvant reprendre à tout moment.
Le « face à face », vers 4, prouve que le duel est sur le point de commencer, ils s’observent.
Aux vers 11 à 13, la description des toitures décrites par des éléments verticaux « aiguillonnées / De fers et de paratonnerres, / Les cheminées » ressemblent à des armes levées avant un combat qui sont prêtes à s’abattre.
La quatrième strophe « Et les femmes et leurs guenilles apparues, / Et les squares, où s'ouvre, en des caries » avec l’image des femmes agenouiller au milieu des squares évoque le champ de bataille quand le combat est achevé.

3.             La représentation d’un symbole
Les usines représentent une modernité menaçante pour l’humanité / le monde idéal. En effet, les usines qui dresse le fer au vers 11 à 13 « aiguillonnées / De fers et de paratonnerres, / Les cheminées » symbolise le matérialisme et le capitalisme qui menace la vie idéale. L’image des combats renvoie aux disparités entre commerciaux et usines industrielles.

Conclusion : Les procédés d’écriture métamorphosent cet univers prosaïque / réel du XIXème au XXème siècle en un monde fantastique, ce qui révèle la fascination de Verhaeren pour cet univers en mutation. La modernité a un aspect sordide. Son originalité est que c’est le seul poème du corpus à donner une vision négative de la modernité avec les usines qui s’emblent s’affronter et menacer le monde environnant, dont le ciel et donc l’idéal du poète. Ce poème est donc une célébration de la modernité en même temps qu’un rejet de ses injustices : la dimension sociale du texte pointe les aspects terribles de la modernité pour le peuple.


Etude d’ensemble :
Les strophes 1 à 3 sont une  vue générale des usines.
La strophe 4 est un élargissement, plan d'ensemble.
La strophe 5 donne une vue sur l'intérieur d'un bar.
La strophe 6 traite de la violence des rapports humains.
Les strophes 7 à 9 donnent sur trois gros plans, à savoir une organisation spatiale avec « Ici », « Là-bas » et « Plus loin » qui désignent respectivement la sidérurgie, les usines textiles et les docks.
La strophe 10 est  élargissement qui donne sur un plan d'ensemble.
Les strophes 11 et 12 sont l’évocation de la monotonie du temps qui passe sur cet espace.
Un tableau complet et complexe des faubourgs industriels.

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