Une Vie, Maupassant
Chapitre 1
Auteur régionaliste du XIXème siècle,
Maupassant utilise sa Normandie natale, pour planter le décor de ses œuvres.
Célèbre pour l’écriture de ses Contes et nouvelles, il s’adonne toutefois à
l’écriture romanesque. Une Vie est son premier roman qu’il publie en
1883. Influencé par le chef d’œuvre de Gustave Flaubert, intitulé Madame
Bovary, il décide de mettre en scène le même thème littéraire : celui
de la désillusion. Le passage, objet de notre étude, se situe au début de l’œuvre.
Le lecteur assiste au voyage de retour à la maison familiale, sous une pluie
battante. Jeanne, accompagnée de ses parents et de Rosalie, manifeste une joie
intense à l’idée de vivre sa vie.
On étudiera d’abord la description
réaliste de la scène puis la vision symbolique du texte qui se présente sous la
forme d’un diptyque.
I.
La vision réaliste de la scène
D’abord,
l’écriture réaliste est définie par :
-
La technique narrative : mise en
place d’un narrateur omniscient, extérieur à la scène. Il n’intervient pas pour
influencer le lecteur à l’inverse de Balzac par exemple. L’écriture réaliste
est donc marquée par l’objectivité. On a donc ce qu’on appelle chez les
réalistes, un effacement du narrateur.
-
Le texte est fidèle aux règles qui
définissent le type descriptif et narratif d’un texte. Particularité de ces
textes est le mélange des deux types. Cela se voit à travers le jeu des
temps : le texte descriptif utilise l’imparfait et on constate que cet
imparfait est utilisé à la fois pour décrire un paysage mais également pour
décrire l’attitude des personnages comme « semblait » ou
« songeait ». l’imparfait décrit ici, l’immobilisme des personnages.
Ils sont accablés par leur région qui détermine leur accablement et leur vie.
En revanche, on a un certain nombre de passé simple qui traduisent une action
comme « on partit » avec un pronom personnel qui annihile les
personnages. Les verbes au passé simple sont également utilisés pour traduire
le mouvement comme par exemple « on traversa » qui traduit le mouvement
de la carriole. On a également « elle s’engagea », « elle
dévala », « elle longea ». Grâce à la dynamique exprimée par le
passé simple, on a la volonté chez le narrateur de traduire un mouvement qui
s’oppose à l’immobilisme des personnages.
-
On a également une réalité sociale dans
laquelle sont inscrits les personnages. L’appellatif « le père
Simon » traduit un certain âge. C’est une expression paysanne qui révèle
son identité sociale défini et affirmé par son métier de « cocher ».
Sa situation, à l’extérieur de la berline, non protégé par la pluie explique sa
tenue, « le dos baissé » et atteste de son rang social par rapport
aux autres personnages. Le personnage est présenté sous son attitude et tout de
suite après par sa classe sociale. Ensuite, on découvre les autres personnages
puisque chez les réalistes, on a le souci de la réalité qui nous permet de
visualiser la scène. Chaque personnage est défini par un élément qui traduit sa
place sociale comme « le baron » qui est un titre nobiliaire ou
« petite mère » qui est un appellatif avec une notion affective,
d’attendrissement. Cela dénature son titre en mettant en avant cette notion
d’attachement. Puis vient Rosalie. Dans
l’écriture de Maupassant, les domestiques s’appellent soit Sylvie, soit
Rosalie. Elle appartient aux gens du peuple. Elle porte un paquet sur les
genoux, ce qui la met dans une position inconfortable qui révèle sa place dans
la hiérarchie. On a un stéréotype des domestiques puisqu’on nous indique
qu’elle ne sait pas penser : « elle songeait de cette songerie
animale ». C’est un constat : les gens du peuple de pensent pas. La
présentation du manque d’esprit critique de Rosalie est sous forme réaliste, de
constat. On a un isolexisme avec « songeait » et « songerie »,
ce qui est un moyen d’insister pour que le lecteur accepte cette situation
injuste.
-
Le souci de vraisemblance qui donne un
« effet de réel » est une des caractéristiques de l’écriture
réaliste, alimenté par la description : quand on étudie l’attitude des
personnages, qui est justifié par la pluie. Il y a toujours cette volonté chez
l’écrivain de décrire une situation réelle comme dans une photographie. Par
exemple, l’attitude du père Simon, justifié par sa position, ou le
« regard morne » du baron dont l’absence de pensée se justifie par
l’accablement de la pluie. De plus, on remarque une allitération en
« t » dans « battait les vitres » et « les fers de
chevaux clapotaient » qui illustre le bruit de la pluie ainsi que celui
des sabots. Pour inscrire le texte dans une réalité, on a une peinture rendant
sensible les Normands. On constate un réalisme géographique, « Mont-riboudet »
qui est une métonymie pour désigner la ville de Rouen, qui est une ville
portuaire d’où le champ lexical maritime avec « quai », « grands
navires », « mats »,
« vergues », « cordages ». L’idée de traverser le paysage
met en scène un mouvement. Tout le paysage décrit le mouvement : on part
du cœur de la ville pour aller à la campagne. Le stéréotype de la région est
que la Normandie est une région pluvieuse. En effet, on retrouve cette
omniprésence de la pluie dans le texte. Ici, la pluie apparaît comme une
véritable fatalité. Elle est décrite avec une certaine minutie. D’abord, on
remarque que la pluie détermine l’attitude des personnages. Ensuite, la pluie
inonde la terre et le ciel. On a l’adjectif « ruisselant », les « arbres
dépouillés ». La pluie est à l’origine du désastre, « la
désolation » qui entoure les personnages. D’ailleurs, la pluie détermine
la lumière. On peut noter « les croupes luisantes » ou encore
« soleils de boue » qui est un oxymore traduisant l’absence de
lumière. « soleils de boue » décrit les roues de la berline dans la
boue. Cela met en relief le fait que le paysage n’a pas de couleur délavé. Il
est difficile de distinguer l’air de l’eau. On a, par exemple, « buée
bouillante » qui traduit la transpiration des chevaux, et met en évidence
une certaine température. la pluie annihile tous les repères. On ne peut plus
distinguer le ciel et la terre. Cela symbole le déterminisme naturel des
hommes : ils n’ont pas la possibilité de choisir.
On
constate toutefois qu’à travers le texte se profile une vision symbolique qui
va permettre au lecteur de saisir les thèmes essentielles de l’œuvre.
II.
La vision symbolique de la scène
Le
texte semble parfait puisque l’on a affaire à un tableau impeccable. On
remarque cependant, des distorsions dans le texte qui obligent le lecteur à
réfléchir sur la vision symbolique du texte.
D’abord,
la première distorsion que l’on peut observer est l’inversion des valeurs. Tout
ce qui donne l’idée de mouvement est donné par la carriole. Les verbes au passé
simple comme « dévala » ou « longea » caractérise le
mouvement de la carriole. On peut constater le fait que les objets sont
personnifiés : on peut repérer « les mâts, les vergues, les cordages
se dressaient tristement » qui
exprime un sentiment ou encore « les branches tombantes avec un
abandonnement de cadavre ». On semble attribuer des caractères humains aux
objets, au paysage car, les personnages sont réifiés. Ils ne communiquent pas
entre eux. On peut remarquer la phrase « on se taisait », avec un
pronom impersonnel « on » qui généralise la situation et l’imparfait
d’habitude qui révèle un certain mutisme. Le regard des personnages traduit
également l’absence de vie. On peut souligner « regard morne »,
« songerie animale », et « petite mère se renversant appuya
sa tête et ferma les paupières ».
A
travers cette inversion des valeurs, on retrouve un symbole : Jeanne est
aux antipodes de l’état des autres personnages. Elle est totalement envahie par
des émotions. On peut constater qu’après toute la description des autres
passagers de la carriole, on a cette antithèse qu’est Jeanne introduite par la
conjonction de coordination « mais » qui exprime l’opposition. Au
début, on part de la pluralité c’est-à-dire, les autres personnes qui entourent
Jeanne, puis on va vers la singularité avec celle-ci.
De
plus, Jeanne traduit son exhalation puisqu’elle a été enfermée pendant 2 ans au
couvent. A travers, cette antithèse de mort et de vie, on découvre une prolepse
qui permet d’annoncer l’avenir de Jeanne : l’immobilisme, le repli des
autres personnages sur eux-mêmes, vont faire partie de sa vie. La pluie est une
source de vie pour Jeanne c’est pourquoi on a cette comparaison « ainsi
qu’une plante enfermée qu’on vient de remettre à l’air ». Dans le couvent,
Jeanne était inerte. On repère le champ lexical de la vie avec
« revivre », « envie », « jouissait ». La
manifestation de sa joie est traduite également à travers le thème de la
renaissance, thème récurrent du romantisme. Lors de la renaissance d’un
personnage romantique, on découvre un éveil des sens. Ici, on remarque que
l’exaltation de Jeanne passe par son corps. On a, en effet, « elle avait
envie de chanter » qui fait allusion au canal sensoriel de l’ouïe On
retrouve celui du toucher, avec « de tendre au-dehors sa main pour
l’emplir d’eau » et celui du goût avec « qu’elle boirait ».
En
opposition avec son entourage, elle se sent à l’abri dans la carriole qui est
son cocon. Elle est avec sa famille d’où ce cocon familiale.
Ensuite,
on peut relever le fait que son exaltation se dévoile également par la jouissance
de sentir le mouvement de la carriole. Pour elle, le mouvement symbolise la
vitalité, un tournant dans sa vie. La désolation du paysage est un tourment
dont elle est exaltée car cela représente pour elle la violence de la vie.
C’est une erreur d’interprétation que fait Jeanne qui permet au narrateur de
témoigner de l’inadaptation à la vie de cette jeune femme.
Dès le début de ce roman, Maupassant
nous présente une jeune fille, naïve et pressée de connaître toutes les joies
de la vie qu’elle a imaginé dans le couvent, où se déroula une partie de sa
jeunesse.
Ce passage s’attache à décrire avec
réalisme, le paysage baigné par la pluie. Les personnages subissent la morosité
du cadre qui s’oppose à l’exaltation de Jeanne. Cet extrait est une prolepse
qui annonce toutes les déceptions de l’héroïne.
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