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Le Commandant se glorifie en faisant allusion à la guerre d’indépendance des États-Unis opposant les Américains et les Anglais et dans laquelle les Français aident les Américains.
Michel Tournier, né en 1924, est un écrivain germaniste du XXème
siècle. Il est influencé par la culture germaniste. Élève de l’ethnologue
Claude Lévi-Strauss, il est agrégé en philosophie. Il a notamment écrit Vendredi
Ou Les Limbes du Pacifique en 1967 et Le roi des Aulnes en 1970,
roman à porter philosophique sur les questions de l’ethnologie et du mal. Dans Vendredi
Ou Les Limbes du Pacifique, l’auteur reprend le roman de Daniel Defoe, en
modifiant le récit en faisant de Vendredi, le héros éponyme. Le passage se
situe à la fin du texte au moment où Robinson voit débarquer le navire anglais,
le Withebird mais sa réaction à l’arrivée de l’équipage est contraire à celle à
laquelle on pourrait s’attendre. Quel regard, Robinson, Européen devenu
sauvage porte-t-il sur les nouveaux venus et sur lui-même ? Pour
répondre à cette question nous allons tout d’abord étudier le regard de
Robinson sur les Européens, puis dans une deuxième partie, le regard de
Robinson sur lui-même, enfin nous aborderons la conséquence de la vision de
Robinson.
I. Le
regard de Robinson sur les Européens
1.
Le point de vue omniscient (focalisation zéro)
Pour rendre compte du regard de Robinson, l’auteur choisit de prendre le
point de vue omniscient, c’est-à-dire que le narrateur sait tout sur les
personnes et leurs pensées : ligne 13, « Robinson pensait »,
ligne 24, « l’idée effleura à peine Robinson », ligne
37 : « avait été semblable à eux », qui reflètent la
pensée de Robinson.
Des lignes 13 à 19, on est proche du point de vue interne : « Robinson
pensait non sans orgueil aux souffrances qu’il aurait endurées à l’époque où il
entretenait l’île comme une cité-jardin, de la voir livrée ainsi à cette bande
fruste et avide ».
Le narrateur semble proche de Robinson mais il pénètre aussi dans la pensée
des autres hommes : ligne 33, « Aucun de ces hommes, murés dans
leurs préoccupations particulières, ne songeait à l'interroger sur les
péripéties qu'il avait traversées depuis son au naufrage ».
Le choix de cette focalisation zéro va permettre au narrateur de voir la
manière dont Robinson vit la scène et le regard portée sur les Européens.
2. Les Européens vus par Robinson
apparaissent comme des brutes déchainées
Dans le roman, le rire est généralement associé au personnage de
Vendredi, qui exprime ainsi sa joie liée à la nature, or, dans ce passage, le
rire des Européens est une satisfaction de détruire, ligne 12 à 13, « on
entendait le rire de ceux qui poursuivaient les chèvres à la course »
et comme disait Rabelais : « le rire est le propre de l’homme »,
ici le rire est dénaturé, présentant les Européens comme inhumains.
A la ligne 15, « cette bande fruste et avide » nous
montre le portrait en action des caractères des Européens, vu par Robinson et à
la ligne 17, Robinson fait une reprise d’une scène décrite précédemment ligne
11 à 13, « Déjà des hommes grimpaient le long des troncs à écailles
pour faire tomber d’un coup de sabre les choux palmistes, et on entendait le
rire de ceux qui poursuivaient les chèvres à la course », à la ligne
17 « ce n’étaient ni les arbres stupidement mutilés ni les bêtes
massacrées au hasard qui le retenaient, c’était le comportement de ces hommes,
ses semblables, à la fois si familier et si étrange », il les présente
d’une manière plus péjorative en les décrivant comme grossiers et stupide car
ils prennent plaisir à détruire et à saccager. Nous remarquons des verbes forts
qui expriment la destruction, la barbarie : « massacrer », «
mutiler ».
A partir de la ligne 21, l’avidité souligné par les disputes causées par
l’or : « Il ameuta aussitôt ses compagnons à grands cris, et après des
disputes hagardes, on décida d’incendier toute la prairie pour faciliter les
recherches. », « Les bagarres que ne manquaient pas de susciter
chaque nouvelle trouvaille le fascinaient ». On remarque un champ
lexical de l’animal : « grands cris », « hagardes »,
et de la violence : « amener », « incendier »,
« disputer » dues à la cupidité et l’orgueil des Européens qui
sont rabaissait au niveau des animaux.
Finalement, à la fin du passage, ligne 40 à 42, « une communauté
d’insectes, des abeilles ou des fourmis, ou ces rassemblements suspects de
cloportes qu’on surprend en soulevant une pierre » où une métaphore
associe les Européens à des insectes répugnants et nuisibles avec une gradation
descendantes (insectes, puis abeille, puis fourmi puis cloportes).
Robinson voit ces Européens, ces ex-semblables, comme des barbares. Son
regard objectivité est comparable à celle d’un philosophe, avec les verbes de
perception, des verbes assez neutres, à ligne 16 : « accaparer »,
ligne 27, « fasciner » qui donne de la valeur a son jugement.
II. Le
regard de Robinson sur lui-même
1. Le premier paragraphe
La question posée est de savoir si Robinson pourra faire profiter à la
civilisation du bonheur de la nature et de la force Soleil.
L’auteur intègre un registre lyrique avec un langage soutenu dans la
période oratoire qui correspond à la première phrase. L’allitération en
« l » donne beaucoup de légèreté à la phrase : « seulement »,
« le », « solaire », « il »,
« l’élever », « milieu », « longuement »
« l’impur », « grouillement », « leur ».
L’auteur émet une hypothèse politico-philosophe. Le travail sur la forme
souligne la beauté du projet envisagé ici selon lequel Robinson serait un
Zoroastre, un nouveau prophète qui conduira ses semblables aux bonheurs.
2. La prise de conscience de Robinson,
irréductible, différents des Européens
Mais ce que Robinson va comprendre c’est que le projet est impossible.
Cette impossibilité est démontrée entre les lignes 18 à 37.
A la ligne 18, « ces hommes, ses semblables » une
apposition dans laquelle on passe du pronom démonstratif « ces »
au pronom possessif « ses », il y a encore une certaines
ressemblances établies entre eux. Nous remarquons que le mot « ses
semblables » est écrit en italique ce qui rend le mot bizarre,
étrange.
A la ligne 19 : « À la fois si familier et si étrange »,
une antithèse qui sous-entend une ressemblance pas parfaite et met en évidence
le caractère paradoxal de la relation entre Robinson et les Européens.
A la ligne 37 l’auteur souligne une nouvelle fois la
différence avec l’emploie du plus-que-parfait : « qu’il avait
été semblable » cependant ce n’est pas une différence absolue mais
toujours paradoxal même si la différence l’emporte.
Aux lignes 38 à 39 : « qu’il était encore des leurs par
toute une part de lui-même », il reconnait qu’une partie de lui est
parallèle aux européens au niveau du physique, du langage et du passé
commun.
En voyant les Européens, Robinson prend conscience de son changement et
de l’impossibilité à revenir en arrière et à convertir ses ex-semblables.
III. Une communication impossible
1. Indice
Les indices d’une communication impossible sont glissés le long du
texte. À la ligne 7 à 8 : « En attendant, le dialogue avec Hunter
s’engageait laborieusement et menaçait à tout instant de se perdre dans un
silence pesant » la phrase est explicite par les termes comme « laborieusement »
et « silence » et pour souligner la difficulté au début de la
conversation, il crée une phrase dont le rythme est lent, avec une allitération
en « en » : « attendant », « s’engageait »,
« pesant ».
Ensuite, le propos de Robinson est narrativité, une forme de discours
dans laquelle le narrateur résume le propos en l’intégrant à la
narration : aux lignes 8 à 10, « Robinson avait entrepris de lui
faire connaître les ressources de Speranza en gibier et en aliments frais,
propres à prévenir le scorbut comme le cresson et le pourpier », il
est de même pour le propos de commandant, aux lignes 28 à 29 : « les
propos du commandant qui lui racontait comment il avait coulé un transport de
troupes françaises envoyé en renfort aux insurgés américains » et le
propos du Second, à la ligne 30 à 33 : « De son côté le second
s’employait à l’initier aux mécanismes si fructueux de la traite des esclaves
africains, échangés contre du coton, du sucre, du café et de l’indigo,
marchandises qui constituait un fret de retour idéal et qui s’écoulaient
avantageusement au passage dans les ports européens ».
Nous avons une image de l’enfermement : « murés »,
ligne 34, les Européens ne manifestent aucun intérêt pour les autres, ils sont
égocentriques.
2.
Préoccupation différente
Ils ont tous des préoccupations différentes.
Robinson n’est intéressé que par la nature : ligne 25, « les
bêtes allaient être privées de la seule pâture de l’île ».
Le Commandant se glorifie en faisant allusion à la guerre d’indépendance des États-Unis opposant les Américains et les Anglais et dans laquelle les Français aident les Américains.
Le second est à la recherche d’argent et du profil avec le commerce
triangulaire.
L’équipage ne pense qu’à leur propre intérêt. Robinson ne se reconnaît
plus dans ses semblables il ne peut rien pour eux et eux ne peuvent rien pour
lui.
Conclusion : Robinson,
après un isolement d’une grande durée, porte un regard critique sur les
Européens qui sont pour lui des barbares dépourvus de morale. En effet, il constate
de grandes différences entre leur intérêt personnel porté sur la recherche de
profils et son intérêt pour la nature. De plus espérant être un prophète, un
guide pour sauver les Européens de leur idéologie égocentrique et leurs besoins
factices, il prend conscience avec une tonalité tragique que cela est
impossible : il n’est plus un Européen, il a été transformé par la vie
sauvage. Michel Tournier reprend une thèse de l’ethnologue Claude Lévi-Strauss.