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Introduction :
L’Étranger d’Albert Camus est un roman paru en 1942 – le livre obtient un grand
succès. Il appartient à ce que Camus a appelé « le cycle de
l’absurde » avec la pièce de théâtre Caligula et l’essai
philosophique Le Mythe de Sisyphe.
L’incipit en
est très célèbre : le roman s’ouvre sur l’annonce de la mort de la mère de
Meursault. Les pages suivantes sont consacrées à l’enterrement. Le lendemain
Meursault rencontre Marie Cardona (chapitre 2), une ancienne collègue de travail,
avec qui il va au cinéma, se baigne, et commence une liaison.
Dans ce
passage, Marie, qu’il fréquente depuis deux semaines, lui propose le mariage.
C’est une scène atypique puisqu’elle inverse les rôles traditionnels de l’homme
et de la femme, et perturbe les codes de la déclaration amoureuse. C’est
également une scène capitale car elle confronte deux systèmes de pensée
cohérents mais radicalement opposés.
I. Une
narration dépouillée
Il y a une
distance entre l’événement et l’écriture de l’événement. Il dit « le
soir », il attaque directement le récit de l’événement.
« Marie
est venue me chercher et m’a demandé si je voulais me marier avec elle » :
au moyen de la conjonction et deux faits qui ne sont pas du même
ordre sont mis sur le même plan. Dans un autre contexte, ce nivellement des
faits pourrait créer un effet comique – c’est ici un procédé de l’absurde.
Camus fait
volontairement l’économie de tous les moyens de dramatisation qui entourent
d’habitude ce type d’épisode : le texte s’en tient au récit des paroles
échangées, aucune autre information n’est donnée (gestes, expressions du
visage, etc…). Le style indirect neutralise même l’émotion qu’exprimeraient les
mêmes phrases au style direct. Il désincarne les paroles, leur retire toute
affectivité, toute humanité, les dédramatise. Le choix du discours indirect
exprime également la distance vis-à-vis de ce qu'il raconte, on pourrait penser
qu'il n'en raconte que l'essentiel.
La structure de
la scène est chronologique. On constate l’absence de liens logiques mais en
revanche de nombreuses notations temporelles : le soir, alors (4
fois), un moment, puis, après, après un autre moment. Ces
notations révèlent le souci d’être exact, de s’en tenir à la succession des
paroles prononcées, à la surface de la conversation. Toute analyse et tout
jugement sont refusés, ce qui premièrement prive le texte de tout impact
émotionnel et deuxièmement traduit l’apparente indifférence du héros. Ces
repères chronologiques peuvent aussi révéler le scrupule extrême et les efforts
de mémoire du narrateur qui procèderait à une reconstruction. Ce récit est
peut-être fait après le meurtre : si c’est le cas, il s’agit de refaire
pas à pas l’itinéraire qui a précédé le meurtre comme le ferait un juge
d’instruction.
La narration
est purement factuelle : elle s’en tient au comportement et aux paroles
prononcées, à ce qui apparaît, à l’exclusion de toute forme d’introspection, de
toute analyse psychologique alors même que le texte est écrit à la première
personne. Ce type d’écriture donne un caractère très sobre et dépouillé au
récit, en même temps qu’il laisse une part des personnages dans l’ombre. Les
silences peuvent être interprétés par le lecteur comme il l’entend.
Présence de la
négation : Meursault est un personnage dessiné négativement ; on ne connaît de
lui que son indifférence aux jugements de valeur, exprimée sous une forme
toujours négative : « cela ne signifiait rien », « sans doute je ne
l'aimais pas », « cela n'avait aucune importance »... Meursault
rejette tout dans le néant : le mariage, l'amour, les différences, alors que
pour Marie le mariage est un engagement, une preuve d'amour, et non une
formalité. Le mariage est un ancrage social : on signifie à la société quelque
chose.
Il y a un refus
de la recherche syntaxique : la phrase est caractérisée par sa brièveté,
et par la platitude syntaxique. Hormis les hypothétiques, il n'y a que les
subordonnées impliquées par le style indirect. La coordination domine,
c'est-à-dire qu'il n'y a ni construction, ni explication, ni hiérarchisation
des contenus, comme s'il n'y avait pas de conscience à l'origine de ses
phrases. (« écriture blanche » selon Roland Barthes).
Il y a
également un refus de la variété du vocabulaire : neutralité et
généralité. Meursault n'emploie qu'un substantif, surtout des pronoms, des
adverbes élémentaires comme « oui », «non », « naturellement », des verbes
passe-partout comme « faire », « vouloir » : aucune marque de
l'affectivité du narrateur, aucun terme dont la coloration ne pourrait suggérer
de sa part une prise de position. Il y a de nombreuses répétitions des verbes
« dire », « répondre ». Il en résulte une impression
de véracité absolue. L'écriture n'intervient pas sur les choses, ne cherche pas
à prendre possession du monde, mais laisse subsister son étrangeté.
On a une
répétition des pronoms « je » et « elle »,
souvent séparés. Ces pronoms répétés et alternés installent les
personnages dans leur individualité. Le pronom « nous » n’est
employé que 2 fois. Meursault et Marie ne sont pas présentés comme un couple,
ce qui peut sembler paradoxal dans une scène où il est question de mariage.
Transition :
Par son refus de mettre en scène des circonstances
romanesques, Camus écrit ici une scène de demande en mariage atypique. Elle se
caractérise aussi par une inversion des rôles. C’est la femme, Marie, qui
initie le dialogue.
II. Une femme prenant les initiatives
La femme se
déplace (« venue me voir »), et formule la demande. Elle est
le plus souvent le sujet des verbes qui marquent un mouvement ou une
décision : dix-huit pour Marie contre onze pour Meursault. C’est notamment
elle qui pose les questions, qui est en recherche de vérité, d’une satisfaction
du désir d’aimer et d’être aimée. Elle incarne le cliché sentimental et social
de la femme qui peut atteindre le bonheur par la consécration d’un mariage.
Elle pose des
questions (cinq fois), ce qui révèle un caractère obstiné. Elle oblige
Meursault à se définir. Ce caractère apparaît aussi à travers la répétition du
verbe vouloir (« elle a voulu savoir… », « elle voulait
simplement savoir », « elle voulait se marier… si elle le
voulait », « dès qu’elle le voudrait »). C’est elle qui relance
la conversation, qui s’épuiserait sans ses initiatives. Meursault se
caractérise en effet tout au long du roman par ses réponses laconiques. Son
engagement se révèle aussi par le geste (elle lui prend le bras) et
l’expression du visage (elle sourit) alors que Meursault, lui, reste
inexpressif mais ces gestes de la part de Marie signifient aussi qu’elle
renonce à comprendre. La seule question au discours direct est « Pourquoi
m’épouser alors ? » et elle ressort d’autant plus. Elle met en
valeur l’opposition de deux logiques inconciliables.
L’ordre de ces
questions est révélateur : Marie pose la question du mariage avant celle
de l’amour. Elle inverse la chronologie attendue parce qu’à ses yeux il va de
soi qu’un mariage est une conséquence de l’amour. Mais cet ordre inversé met
d’autant plus en valeur la logique particulière de Meursault pour qui le
mariage ne dépend justement pas de l’amour.
La quatrième
question révèle le désir d’être distinguée, valorisée dans sa différence. Elle
attend que Meursault marque son caractère exceptionnel.
Les silences de
Marie sont fréquents : « elle s’est tue un moment - regardé en
silence - après un autre moment de silence ». Elle observe
objectivement Meursault, n’endosse pas les lieux communs de la femme jalouse qui
de façon épidermique récrimine, se plaint ou accuse. Elle est une héroïne
moderne, qui accepte Meursault tel qu’il est : sans a priori. L’analyse
« que j’étais bizarre, qu’elle m’aimait sans doute à cause de cela mais
que peut-être un jour je la dégoûterais pour les mêmes raisons » peut
aussi être lue comme une mise en abyme de la relation qui peut s’établir entre
le lecteur et le personnage.
Transition Marie tente de révéler ce qu’elle aimerait partager avec Meursault, mais
ses tentatives semblent vaines. L’énergie de Marie contraste avec la passivité
de M, qui expose lui aussi un système de valeurs logique mais opposé.
III. Un
héros de l’authenticité
Meursault ne converse pas
vraiment ici. Il se contente le plus souvent de répondre, comme s’il subissait
une sorte d’interrogatoire sentimental. Les expressions qui signifient les
limites de son implication dans la conversation sont multiples :
-
le champ lexical du détachement/indifférence : « cela
m’était égal », « cela ne signifiait rien », « cela n’avait
aucune importance » ;
- des réponses brèves, voire monosyllabiques: « Non »,
« Naturellement », « je me contentais de dire oui » ;
- la fuite dans le silence : « moi, je ne pouvais rien savoir
sur ce point » ;
- une simple reprise des termes employés par Marie : « si je
voulais » → « si elle le voulait »
- un chiasme à distance : « Nous pourrions le faire si
elle le voulait » / « Si elle le désirait, nous pouvions
nous marier »
Ces
reprises donnent un aspect mécanique, dénué de sentiment, à la conversation de
Meursault.
Meursault s’en
remet complètement à la volonté de Marie (marqué par les conditionnels
notamment : il veut lui faire plaisir)
Il apparaît
étranger aux pratiques du théâtre social. La conclusion première du lecteur est
que Meursault est incapable d’amour, d’ambition, d’amitié, de tout ce qui peut
donner un sens à une vie, inciter à agir. Une lecture moins moralisante du
personnage peut voir en lui le souci de l’exactitude et de la vérité. Toutes
ses réponses sont finalement logiques et sincères : comme le mariage ne
compte pas pour lui, il peut dire indifféremment oui ou non. Il ne ment pas. Il
n’endosse pas la comédie de celui qui dirait qu’il aime Marie même si ce n’est
pas vrai. Il assume honnêtement l’image peu flatteuse de celui qui prend
simplement un plaisir charnel avec elle. Ce faisant, il passe pour un cynique.
En fait, il dénonce les conventions sentimentales qui conduisent à galvauder le
mot « aimer ». Et il révèle qu’il y a une incommunicabilité
fondamentale entre les êtres : tout homme est étranger à autrui.
Meursault se
méfie du langage. Du verbe aimer, il dit « cela ne signifiait rien ».
Il évite d’employer des mots précis. Il n’utilise qu’une fois « se
marier » puis il le remplace par « cela, le faire, cela, le
ferions ». Ces substituts, ce verbe « faire », sont
interchangeables, alors que le verbe « se marier » a une forte
portée symbolique. Ils n’explicitent pas les implications d’un engagement comme
le mariage, ils les cachent même.
Meursault
refuse d’être séduit et de séduire par le langage.
Conclusion :
Cette scène
paraît singulière, et choque le lecteur, en même temps qu’elle le
fascine : la position de Meursault est déroutante, car éloignée des normes
habituelles. Si elle peut être interprétée comme de l’indifférence, elle peut
aussi l’être comme une exigence de vérité.
Tout au long du
roman, le personnage semble subir des interrogatoires visant à vérifier sa
conformité avec les attentes de son entourage. Il donne les mêmes réponses à
ses interlocuteurs. A la proposition de son patron « J’ai dit que oui mais
que dans le fond cela m’était égal » - A Raymond « Il m’a
demandé encore si je voulais être son copain. J’ai dit que ça m’était égal »
- (chapitre 3) et de même « cela m’était égal » d’être son
témoin (chapitre 4).
Comment le thème de l'indifférence est mis en valeur dans ce texte ? Répond svp
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