Introduction
:
Roman paru en 1942. Camus a appelé cela
le cycle de l'absurde : L'étranger, Caligula, Le mythe de Sisyphe.
Décès de sa mère au début du roman, puis
les funérailles et le lendemain, Meursault rencontre Marie Cardonna (chapitre
II). Au début du chapitre V, le patron de Meursault lui propose un poste à
Paris et il refuse, le patron conclut que c'est un manque d'ambition. Marie le
demande en mariage : propos atypique, car il y a une inversion des rôles
masculin et féminin. Scène capitale, car il y a une opposition de 2 systèmes de
pensée cohérents et opposés.
Problématique : En
quoi cette scène est-elle révélatrice du système de pensée de Meursault ?
I/
Une narration dépouillée :
Distance temporelle entre l'évènement et
l'écriture : "LE soir" et non CE soir. Le texte commence par la
demande en mariage. Le "Et" met sur le même plan les 2 propositions :
possibilité de créer un effet comique. Camus ne dramatise pas. Aucune
indication sur le lieu, leur posture. Retranscrit (style indirect) pour
neutraliser l'émotion et donner l'impression que c'est un rapport de
conversations. Restitution chronologique : "le soir"
"alors" "un moment" "après" : linéarité assez
plate. On en reste à la surface de la conversation : restitution du contenu
privant le texte d'un impact émotionnel et traduit l'indifférence purement
factuelle, sans introspection : écriture sobre qui laisse une part d'ombre, les
silences viennent justifier cette analyse. Refus de toute recherche syntaxique
et pas de variété de vocabulaire. Nombreuses répétitions des verbes
"dire" et "répondre". Impression de véracité (exacte).
Répétition des pronoms "je" et "elle" ("nous"
n'apparaît que 2 fois) ce qui installe Meursault et Marie dans une
individualité et non présenté comme un couple.
Transition : Refus
de mettre en scène des circonstances romanesques et donc il en résulte une
scène atypique. C'est Marie qui initie le dialogue.
II/
Une femme qui prend des initiatives
C'est Marie qui se déplace chez Meursault
et formule la demande. Marie cherche la satisfaction d'être aimée, elle incarne
un cliché (stéréotype usé) sentimental : la femme qui veut atteindre le bonheur
grâce au mariage. Elle pose 5 questions ce qui traduit son obstination. Le
verbe "vouloir" est souvent utilisé : 5 occurrences (ce qui confirme
que Camus utilise beaucoup les répétitions). Meursault utilise des réponses
laconiques (brèves). Son geste "pris le bras" et le sourire sont les
2 exceptions du texte. Il n'y a qu'une seule question au style direct
"pourquoi m'épouser alors ?" ce qui exprime l'opposition de leurs 2
logiques respectives. Marie inverse une chronologie attendue : question du
mariage puis après seulement question de l'amour ce qui met en valeur la
logique de Meursault, car il pense que le mariage ne découle pas nécessairement
de l'amour. Marie est également un personnage déroutant, car elle garde une
forme d'objectivité : elle ne se plaint pas, fait des pauses, elle ne fait pas
de scènes, reste posée. Elle accepte Meursault tel qu'il est. Marie incarne la
vision qu'il faut avoir de Meursault : sans a priori, différemment du héros
romanesque. Mise en abyme : "elle m'a murmuré que j'étais bizarre ... à
cause de cela", car le lecteur peut ressentir la même chose.
Transition : Marie
est tolérante, énergique et essaie de partager des valeurs avec Meursault ce
qui contraste avec la passivité de celui-ci qui correspond à un système de
valeurs opposé.
III/
Un héros de l'authenticité
Meursault se contente de répondre comme à
un interrogatoire. Champ lexical de l'indifférence "cela ne signifiait
rien" "cela n'avait aucune importance" et "cela m'était
égal". Réponses brèves : "non" "naturellement"
"oui". Fuite dans le silence, évitement de la conversation "je
ne pouvais rien savoir sur ce point. Reprise des termes de Marie dans une sorte
d'écho : "si je voulais"--> "si elle voulait" et
formation d'un chiasme à distance "Nous pouvions le faire / si elle le
voulait" "Si elle le désirait / nous pourrions nous marier" ce
qui met en valeur le fait que le discours se répète : aspect mécanique, dénué
de sentiments.
Le personnage est étranger, ses réactions
ne concernent pas uniquement la question du mariage. Tout au long du texte, on
a l'impression qu'il subit des interrogatoires (proposition du patron :
"cela m'était égal") (proposition de Raymond : "cela m'était
égal") Raymond lui demande d'être son témoin et il répond la même chose il
affiche la même indifférence sur tous les plans (amour, amitié, professionnel)
il est incapable de s'engager. Il n'a pas un grand souci de la vérité : il
répond sincèrement et logiquement : le mariage n'importe pas pour lui donc
qu'importe la réponse. Il ne ment pas.
Il renonce à jouer la comédie de dire à
Marie qu'il l'aime alors que non. Il ne cherche pas à se faire passer pour
meilleur qu'il n'est. Il ne galvaude pas le mot "aimer" (user un mot
à force de trop l'utiliser). Il évite d'employer des mots trop précis et les
remplace par des termes plus généraux : "cela" "faire" et
ces termes ne connote pas l'engagement et dissimule le mariage. Il refuse de
séduire ou d'être séduit par le langage.
Conclusion
:
Si ce texte révèle le système de pensée
de Meursault, c'est parce qu'il est d'un grand dépouillement et qui révèle que
Meursault refuse un aspect fallacieux (hypocrite, faux). Il rompt avec des
conditions formelles, car il est du côté de la vérité.