Français : lecture analytique de l'Incipit d'Education sentimentale de Gustave Flaubert


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Gustave Flaubert, Education sentimentale, Incipit, 1869


Gustave Flaubert est un écrivain français né à Rouen en 1821 et mort en 1880. Il a marqué la littérature française car il est l’un des plus grand représentant du mouvement réaliste en France. Ses principaux romans sont Madame Bovary (1857), L'Éducation sentimentale (1869) que l’auteur définit ainsi « l’histoire morale des hommes de ma génération ». Le roman relate de la passion malheureuse de Fréderic Moreaux pour madame Arnoux, une femme mariée. Nous étudierons l’incipit du roman (qui vient du latin : incipit qui veut dire « il commence »), c’est-à-dire les premières lignes du roman. En quoi cet incipit est-il caractéristique du roman réaliste ? Pour répondre à cette question, nous verrons tout d’abord que cet incipit est réaliste par sa composition, puis que cet incipit est réaliste par son cadre spatiotemporel qu’il met en place, enfin, nous étudierons le fait que le réalisme passe par la matière donc il présente le personnage.

I.                   La composition

Le texte est mené à l’imparfait « fumait », « arrivaient », « gênaient », « répondaient », etc… : il s’agit donc d’un texte descriptif organisé de manière à effectuer un rapprochement progressif sur le personnage.

1.             Plan générale

Du paragraphe 1 à 3, nous avons un plan général « devant le quai Saint-Bernard » (ligne 2), « Des gens » (ligne 3), avec dans le paragraphe 3 un changement de perspective car les quais sont vue du bateau « le navire partit ; et les deux berges, peuplées de magasins » (ligne 8)
Au paragraphe 4, nous avons un gros plan sur le personnage « Un jeune homme » (ligne 10), puis de nouveau un plan d’ensemble sur les quais en mouvement à travers le regard du jeune homme qui est sur le navire « A travers le brouillard, il contemplait des clochers » (ligne 11)
Au paragraphe 5, nous avons, de nouveau, un gros plan sur le personnage : « M. Frédéric Moreau » (ligne 14).
Le cadre se resserre peu à peu sur un personnage dont nous pouvons deviner qu’il va être le héros du roman.

2.             Le jeu sur les points de vue

Ce resserrement se retrouve avec le jeu sur les points de vue.
Du paragraphe 1 à 3, nous avons de la focalisation externe : « Des gens arrivaient hors d’haleine » (ligne 3), « les matelots ne répondaient à personne » (ligne 4), « la cloche, à l’avant, tintait sans discontinuer » (ligne 6-7).
            Au paragraphe 4, dans la première phrase nous avons de la focalisation externe : « Un jeune homme de dix-huit ans, à longs cheveux et qui tenait un album sous son bras, restait auprès du gouvernail, immobile » (ligne 10-11). Dans ce paragraphe, nous avons un bref passage avec un point de vue interne aux lignes 11 à 12 : « des édifices dont il ne savait pas les noms ».
            Au paragraphe 5, nous avons une focalisation omniscient, le narrateur nous en dit plus sur le personnage : « M. Frédéric Moreau, nouvellement reçu bachelier, s’en retournait à Nogent-sur-Seine » (ligne 14).
Plus on avance dans le passage, plus la focalisation permet de découvrir le personnage de manière de plus en plus précise.

Par sa composition, cet incipit mime une rencontre réelle entre les lecteurs et le personnage tel que nous rencontrerons des personnes dans la vraie vie.

II.                Le cadre spatio-temporel

1.             Le cadre précis plus proche du lecteur

a.   le cadre temporel
Les premiers mots du récit intègrent le récit dans un cadre extrêmement précis : « Le 15 septembre 1840, vers six heures du matin » (ligne 1). La précision de l’année « 1840 » met le lecteur dans un cadre proche de la date de publication. C’est en effet la période de la monarchie de juillet de Louis Philippe Auguste, une époque marqué par un contexte politique et social et très conservateur.

b.   Le cadre spatial
Il est précis car il est aussi donné dès la première ligne « devant le quai Saint-Bernard » (ligne 2) et l’énumération, lignes 12-13, avec tous les lieux cité permet de situer le cadre « l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame ». Ce cadre réaliste est aussi souligné avec l’apparition de « Paris », ligne 13, une ville que tout le monde connait. Cela permet aux lecteurs de s’imaginer et de de se rappelle à quoi ressemble Paris
Dans le dernier paragraphe, on apprend d’où il vient « au Havre » (ligne 16) et où il va « à Nogent-sur-Seine » (ligne 14) qui est une banlieue de la petite bourgeoisie de Paris.

Nous avons donc un cadre riche très précis, caractéristique du réalisme. Ce qui caractérise également ce réalisme est la mise en œuvre d’un décor vivant pour donner l’illusion d’y être.

2.             Le décor est vivant et animé

En effet, ce cadre nous donne l’illusion du réel. Cela passe par la sollicitation des sens avec
-  tout d’abord, la vue avec les différents éléments décrits « devant le quai Saint-Bernard » (ligne 2) et l’énumération, lignes 12-13, « l’île Saint-Louis, la Cité, Notre-Dame » ;
-  ensuite avec l’ouïe avec « tapage » et « bruissement » (ligne 5), « la cloche, à l’avant, tintait » (ligne 7), les éléments sonores très développés laissent transparaitre le vacarme provoqué par les gens prêt à monter sur le bateau ;
-  enfin avec la faculté tactile / olfactive avec « vapeur » (ligne 5), « une nuée blanchâtre » (ligne 6) qui donne l’impression d’humidité et d’une odeur qui se dégage par la vapeur.
Flaubert reconstitue l’atmosphère du quai avec la vue mais également l’ouïe et le tactile.

Cette illusion du réel passe aussi par l’impression de mouvement, dans le paragraphe 2, avec les verbes « arrivaient » (ligne 3) « heurtait », « montaient » (ligne 4), « s’absorbait » (ligne 5) et nom « circulation ».
Les pluriels « Des gens », « des barriques », « des câbles », « des corbeilles de linge » (ligne 3), « les matelots » « les colis » (ligne 4), « les deux tambours » (ligne 5), « des plaques de tôle » (ligne 6) et l’utilisation du pronom indéfini « on » (ligne 4) indique l’idée de foule.
L’énumération ligne 3 « des barriques, des câbles, des corbeilles de linge » souligne la confusion et l’agitation du quai.
La complexité de la phrase ligne 4 à 7 avec les deux propositions principales coordonnées « les colis montaient entre les deux tambours, et le tapage s’absorbait dans le bruissement de la vapeur », avec la proposition relative « qui, s’échappant par des plaques de tôle, enveloppait tout d’une nuée blanchâtre » et par la subordonnée qui termine la phrase « tandis que la cloche, à l’avant, tintait sans discontinuer » ramène à la complexité du décor et souligne la confusion qui règne sur le quai.

La volonté de faire vivre le décor, pour que le lecteur se prenne à l’illusion, est une caractéristique du réalisme (il ne s’agit plus que d’un cadre). 

III.             La présentation du personnage

1.             Un personnage présenté de façon progressive

Du paragraphe 1 à 3, nous avons de la focalisation externe et un plan général.
            Au paragraphe 4, nous avons un gros plan sur le personnage puis de nouveau un plan d’ensemble sur les quais en mouvement à travers le regard du jeune homme qui est sur le navire.
Parallèlement, dans la première phrase nous avons de la focalisation externe et un bref passage avec un point de vue interne aux lignes 11 à 12.
            Au paragraphe 5, nous avons une focalisation omnisciente et un gros plan sur le personnage.
Le personnage est décrit progressivement et de manière de plus en plus précise.

2.             Infos choisies assurent la première approche du personnage

Les informations choisit assurent une première approche du personnage. Cela passe par :
- son état civil : « Frédéric Moraux » (ligne 14)
- son âge : « 18 ans » (ligne 10)
- son physique : « cheveux long » (ligne 10) : à l’époque les cheveux longs sont un des éléments de la mode romantique, ce qui montre l’influence du jeune homme pour ce mouvement.
- l’endroit où il vit : « Nogent-sur-Seine » (ligne 14). C’est un petit bourgeois qui habite la banlieue, il est bachelier, il va faire des études en droit mais il attend un héritage donc espère de l’argent.

A travers les attitudes du personnage, qui est mis en évidence des lignes 11 à 17 avec le verbe « contemplait », « un grand soupir », « immobile », « il devait languir », « il se dédommageait de ne pouvoir séjourner dans la capitale », nous parvenons à déduire certains traits de caractère comme la passivité avec sa frustration et son caractère contemplatif.
Il s’inscrit dans un paysage qui semble lui correspondre

3.             Les éléments plus symboliques

Parallèlement, nous retrouvons des éléments plus symboliques qui lient personnage et cadre.
Le roman débute tôt le matin. Cela correspond à la situation du personnage qui débute sa vie d’adulte. Le nom « album » ligne 10 qui vient de l’adjectif blanc (du latin alba, ae) désigne un cahier à dessin constitué de pages blanches. Il n’a pas encore commencé à la remplir et son histoire va commencer avec la premier page du roman.
Le désordre du quai met en évidence que la situation du personnage n’est encore en place.
La symbolique du bateau, qui part, montre aussi ce lien : il s’agit du début du parcours d’adulte de Frédéric Moreau et du roman qu’il débute.
Symboliquement le « brouillard » ligne 11, peut évoquer le flou, les incertitudes de la vie qui commence pour Moreau
Enfin, la longueur de la route est assimilée à la longueur de sa vie « en regagnant sa province par la route la plus longue » (ligne 18) qui souligne un chemin de la vie remplie d’embouche et de difficultés avant d’atteindre son but.

Les éléments symboliques que l’auteur crée autour du personnage confirme les liens fort entre le cadre et le personnage et annonce le roman d’apprentissage (un roman dont le héros / le personnage principal qu’est un jeune homme fait l’apprentissage de la vie tel que Rastignac de Père Goriot de Balzac).

Conclusion : Ce texte est donc caractéristique du roman réaliste par :
-          Sa composition
-          Par l’art de la description qui est mise en œuvre
-          Par la présentation du personnage qui est un personnage représentatif de la génération de Flaubert
En 1840, Flaubert avait lui-même 19 ans, il incarne dans Frédéric Moreaux, sa propre génération marquée par le romantisme et l’épopée napoléonienne mais qui est plongée dans une société conservatrice om il est bien difficile de réaliser ces ambition et ses rêves.