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Le Loup et le Chien
Très ancienne, illustrée par l’antiquité grecque et latine, la fable est un
genre court composée d’une histoire fictive accompagnée d’une morale. La
Fontaine brille dans le genre pendant la période classique. La Fable
« le Loup et le Chien » oppose deux bêtes proches par la morphologie
mais très différentes par leur vie puisque l’une est sauvage, l’autre
domestique. Cette confrontation permet à La Fontaine de présenter deux conditions :
L’insécurité liée à la liberté et le confort liée à la servitude. A travers un
récit animé, une psychologie avancée, présentée par les propos du chien et les
réactions du loup, l’auteur donne une morale implicite où transparaît sa
conception du bonheur.
I. I.
L’art de la Fable
L’art de cette fable est sa diversité. La Fontaine met en place un récit
qui impose différentes règles. Tout d’abord, on a des contrastes sur les temps
et modes des verbes. Du vers 1 au vers 9, l’auteur utilise l’imparfait dans le
récit « n’avait », « faisaient », « s’était »,
« fallait ». Il s’agit d’un imparfait qui plonge le lecteur dans le
passé, le monde de la fiction. Du vers 3 au vers 9, il révèle les circonstances
de rencontre des deux bêtes en utilisant le présent de l’indicatif
« rencontre ». Il donne ainsi une dynamique à son récit. Au vers 32,
La Fontaine emploie le passé simple « vit » pour évoquer un
contraste. Cela traduit la surprise du loup et introduit le dénouement. Le
passé simple est donc un élément moteur.
Ensuite, le fabuliste met en place une autre règle : la mise en place
d’un suspense pour dynamiser son texte. Dès le vers 5, il y a une tournure
infinitive « l’attaquer, le mettre en quartier ». Ceci agrémente une
excitation chez le lecteur car il va surement y avoir un combat entre le Loup
et le Chien. Egalement, du vers 10 au vers 39, LA Fontaine utilise un dialogue
et met du style direct dans son récit. Il fait parler ses personnages pour
dynamiser et colorer le texte.
Enfin, dans cette fable, l’auteur met en place une dernière règle. Les
différents contrastes chez les personnages. On peut constater que la
présentation des personnages est courte (vers 1 à 9). C’est l’illustration
d’une opposition. C’est une économie de la part de l’auteur qui met en place
une sélection d’arguments afin de rendre le texte plus efficace.
Evoquons aussi, avant de comparer les personnages, un autre argument des
circonstances de leur rencontre. Au vers 4, on décrit le Chien comme
« fourvoyé ». On nous révèle ainsi un prétexte dû au hasard pour
créer la rencontre.
Maintenant, comparons le loup et le Chien. Dans les 9 premiers vers,
l’auteur nous révèles ses personnages en utilisant un diptyque
antithétique : on nous présente ici deux personnages aux vies opposées. LE
loup maigre à la vie précaire et le Chien « gras » et
« puissant » à la vie confortable.
Le loup a une vie précaire à cause de la robustesse et de l’acharnement des
Chiens. On a « Tant les chiens faisaient bonne garde » (au vers 2).
On nous décrit ainsi un combat inégal. Le Loup est seul face au Chien. Il est
en position de faiblesse ce qui suscite de l’admiration pour le Loup de la part
du lecteur.
La Fontaine nuance également les personnages et leur présentation par la
structure de son texte : le Loup est présenté en un vers, tandis que le
Chien est présenté en plusieurs vers. On a « Dogue aussi puissant que
beau, gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde » (vers 4 à 5).
« Le Matin était de taille à se défendre hardiment » (vers 8, 9).
Ceci traduit la puissance du Chien liée à son rôle social du maître et la mise
en place d’un autre dyptique. Le fabuliste nous communique aussi une autre
caractéristique du Loup, au vers 5, avec l’allitération en « t » dans
« l’attaquer, le mettre en quartiers » qui montre la férocité du
loup, le « t » étant une consonne explosive. Au vers 6-7, l’auteur
utilise une restriction hypothétique avec le subjonctif plus-que-parfait
« l’eût fait volontiers ». La conjonction de coordination
« mais » qui suit la restriction hypothétique la confirme.
Le Loup doit utiliser un autre stratagème. Il va « l’aborder
humblement » (vers 10).
Il joue l’être humble pour séduire et flatter le Chien. L’auteur met en
évidence une sphère de l’hypocrisie. Le loup utilise un masque social pour se
rapprocher du Chien. Ce stratagème est très utilisé au XVIIème siècle pour se
rapprocher du Roi. La Fontaine illustre la société (la cour) de son époque.
Il dépeint également la différence des deux animaux d’une autre manière. On
a beaucoup d’appellatifs pour désigner le Chien « Chien »,
« Dogue, « Mâtin ». Ceci communique encore une fois l’idée de la
richesse du Chien, à l’encontre du Loup, qui lui n’est nommé que par « Un
loup », « ce Loup ».
On nous indique donc la précarité du loup. Ces appellatifs en nombre
diminué amènent à une focalisation sur le Loup.
II.
Le discours du chien
Maintenant, passons en second lieu à un centre d’intérêt important :
le discours du Chien. Comme nous avons pu le voir avant, le « Dogue »
est un animal puissant et imposant mais également éduqué. Il a une grande
connaissance de l’argumentation et de la rhétorique. Durant le style direct et
le dialogue (v.11 à 40), l’auteur nous montre un animal convaincu de son
argumentation qui domine par sa prise de paole et son discours. La Fontaine
exprime ici une mise en abîme de la Société du XVIIème siècle. Il nous dénonce
un discours mensonger, utilisé par la cour pour se rapprocher du Roi. Le Chien
a donc un discours très structuré avec une argumentation construite. Pour
commencer, il présente les conditions de vie des deux animaux. Pour cela, le
fabuliste fait utiliser à son personnage un diptyque. Il compare sa condition
méliorative avec celle du Loup qui est péjorative. Il utilise un compliment « Beau
Sire » (v.13) pour le séduire et l’inciter à l’écouter. Puis l’auteur met
en place dans le discours de son personnage, un schéma comparatif entre les
deux vies « aussi gras que moi » (v.14). LE premier argument du Chien
présente une vérité. Il met en avant sa corpulence car il sait que c’est la
raison pour laquelle le Loup est attiré par lui. Il réussit à convaincre son
opposé de l’écouter. Le Chien est condescendant et instaure un pouvoir grâce à
sa corpulence et son apparence.
L’apparence est une caractéristique très important dans le monde
aristocratique. La Fontaine continue le discours e son personnage en éveillant
la culpabilité du loup. On a « il ne tiendra qu’à vous » au vers 13.
Cet argument incite le Loup à écouter le Chien qui lui propose des solutions
pour devenir son égal « aussi gras que moi ». Le discours du Chien
affiche une certaine assurance. En effet, le fabuliste utilise des impératifs
dans son discours : « Quittez les bois »,
« Suivez-moi ». Cela donne de la dynamique car ces verbes sont en
début de vers. Dans la deuxième partie du dyptique (vers 23 au vers 29), le
« Matin » expose les conditions pour mener une vie confortable.
Tout d’abord, il évoque son rôle « donner la chasse aux gens portant
bâtons » à « à son Maître complaire » (vers 23 à 25). Le chiasme
au vers 19 avec « flatter ceux du logis à son maître complaire »
renforce l’idée d’être hypocrite pour satisfaire ses besoins. Il est également
responsable de la souffrance du loup : « Un Loup n’avait que les os
et la peau tant les Chiens faisaient bonne garde » (v.1-2).
Ensuite, il explique sa vie confortable au Loup en lui donnant envie par
plusieurs arguments : il présente les récompenses de son travail. Il
explique au Loup que son « salaire sera force reliefs » et pour
marquer la mémoire du loup, l’auteur met en place un parallélisme dans le
discours du Chien « OS de poulets, os de pigeons ». On évoque
également la récompense d’avoir flatté son maître. « Mainte caresse »
est adressée aux Chiens. Cette tendresse émeut le Loup et « le fait
pleurer » (v. 31). D’après ce que nous avons vu, le discours du Chien peut
être qualifié de dynamique et varié. Cependant, à la fin de la fable, on nous
dépeint une perte de la maîtrise de la rhétorique par l’utilisation d’euphémismes
« Rien », « Peu de choses », d’une litote « Pas
toujours », et d’une périphrase « De ce que vous voyez ». Tous
ces procédés stylistiques nous montrent un Chien déstabilisé qui affiche un
certain détachement « mais qu’importe ». On traduit ainsi sa perte de
pouvoir et un nouveau visage, totalement différent du Chien dominant et
imposant lors de son discours.
III.
Réactions du loup et la morale
Finissons par le dernier centre d’intérêt à traiter : les réactions du
Loup et la morale. Traitons d’abord les réactions et les caractéristiques du
Loup. On nous décrit un personnage sauvage par son apparence « Un loup
n’avait que les os et la peau » et par ses intentions « l’attaquer,
le mettre en quartiers, Sire Loup l’eût fait volontiers ». L’auteur le
dépeint également comme perspicace : il comprend bien que se battre contre
le Chien est impossible « Mais il fallait livrer bataille » à
« se défendre hardiment ». Le loup est rusé « aborde humblement »
le Dogue. Il met en place une stratégie hypocrite pour se rapprocher du Chien,
il le flatte, cultive l’illusion de l’admirer « Que me faudra-t-il
faire ? » et se met volontairement dans une place d’infériorité. Il
affiche un certain intérêt au discours du Chien, tout en restant méfiant. Le
fabuliste nous révèle ainsi un personnage possédant un esprit critique. On nous
évoque aussi une autre caractéristique du Loup : il rêve et a des
émotions. « Le loup déjà se forge une félicité qui le fait pleurer de
tendresse ». On nous démontre ici des caractéristiques humaines. Le loup
est donc doté d’une certaine sensibilité.
Le personnage du Loup est réhabilité au fil du texte. Au début, le Loup se
fait petit. Il prend la parole une seule fois. On nous traduit ici un Loup
intéressé par le discours du Chien, cette réaction déçoit le lecteur.
Cependant, il y a un changement de situation. « Chemin faisant, il vit le
col du Chien pelé ». Le fait qu’il aperçoit le col du Chien, est un
élément perturbateur introduisant le dénouement. Dans le dialogue vers 33 à 35,
l’auteur réhabilite la vérité : le Loup retient dans le discours du Chien
le terme « attaché ». Ceci exprime une notion de servitude.
« Attaché » est repris par le loup a vers 37, on nous communique
ainsi son désarroi. Le Loup réussit enfin à se détacher du discours du Chien et
a une maitrise de la rhétorique. Il utilise des alexandrins « Et ne
voudrais pas même à ce prix un trésor » et des enjambements. On nous
dépeint ici un personnage faisant preuve de superbe qui traduit sa détermination.
Ceci suscite l’admiration chez le lecteur. Le Loup possède une autre
noblesse : la noblesse de cœur. Du vers 38 à 41, il exprime son
respect par rapport à la liberté du Chien mais veut qu’on respecte la sienne.
Le loup devient prolixe. Dans le dernier vers, on utilise une inquiétude
grammaticale « s’enfuit » qui est à la fois un présent
d’actualisation et un présent de vérité générale. On a également une
allitération en « c » avec « et court encore ». On nous
révèle ainsi un Loup qui a retrouvé sa noblesse et sa dignité. Terminons ce
centre d’intérêt en traitant la morale. Il s’agit d’une morale implicite. La
Fontaine n’intervient pas et veut nous laisser comprendre la morale par
nous-mêmes. Le Loup est cité le premier dans le titre et la fable se termine avec
le Loup. La liberté est donc préférable à la servitude. On nous donne une
morale qui est du côté du Loup. Le discours en dyptique du Chien représente la
cour au XVIIème siècle. L’auteur émet ainsi une réflexion sur les rapports
sociaux : à travers le personnage se pose le problème de la liberté
artistique, d’expression et d’action. Il veut préserver sa liberté comme le
Loup mais est contraint de travailler pour un mécène.
Il existe deux possibilités : une vie facile sans liberté ou une vie
difficile avec liberté. Ces deux solutions ne permettent pas d’accéder au
bonheur. Donc le bonheur n’existe pas, ou c’est un bonheur contraint. Jean de
la Fontaine, étant janséniste, a une vision péjorative de la vie.
L’anecdote du Loup et du Chien, malgré son absence d’action, est le
prétexte d’une fable très raffiné dans sa structure et d’une morale savamment
suggérée. La Fontaine est fidèle à l’esprit classique qui avait comme
précepte : « instruire et plaire ». Ce poème contient un double
thème : d’une part, l’idée assez pessimiste, qu’aucune condition ne
comporte tous les avantages, qu’aucun bonheur terrestre n’est parfait et
d’autre part la célébration de la liberté, sous toutes ses formes, y compris
littéraire. La Fontaine l’a lui-même déclaré à propos de ses sources
antiques : « mon imitation n’est pas un esclavage ».
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