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Jean-Claude
Carrière, La controverse de Valladolid, chapitre 7 (1992)
Introduction
: La controverse de
Valladolid est un débat réel qui a eu lieu à Valladolid en 1550 à la demande de
Charles Quint. Ce débat oppose le père Bartolomé de Las Casas au philosophe
spécialiste des religions : Sépulvéda. La discussion porte sur le statut des
indiens d’Amérique colonisés par le royaume espagnol. La scène se passe dans un
couvent et un envoyé du pape et présent pour faire le juge. Comment la stratégie argumentative de chaque interlocuteur
révèle-t-elle la vision de l’homme ? Pour
répondre à cette question, nous verrons tout d’abord sur quoi est fondé le
débat, puis nous montrerons les enjeux du débat.
I.
Un débat fondé sur la contestation :
Controverse vient du latin
"controversia" qui désigne un litige, un désaccord dans le cas
présent, un débat contradictoire sur la théologie.
1) La stratégie dépréciative de Sépulvéda :
Pour que la domination coloniale
soit incontestable, sa stratégie est fondé sur l’autorité, se retrancher
derrière l’opinion des autres : l3 "Aristote" auteur respecté donc
Sépulvéda le cite, il fait référence aux esclaves grecs. "ON", ce
n’est pas SA conviction. De même, il modalise son propos pour marquer sa
certitude ligne 15-16 : "de toute évidence". Argument d’autorité le
plus marquant : "offense a Dieu" ligne 10-11 : il adopte les valeurs
de l’adversaire (religion) pour l’empêcher de répliquer. Il multiplie les procédés
de généralisation : présent gnomique, multiplication des pluriels, phrases
déclaratives ayant pour but d’assener des vérités (ligne 2 - ligne 14 - ligne
16).
Il accumule les constats comme
pour avoir un effet de témoignage à charge (ligne 7-11)( ligne 14-18). Cumul
accablant pour les Indiens. Sépulvéda en reste au jugement de valeur, il fait
preuve de mauvaise foi. Il feint d’essayer de restreindre son jugement
(prétérition). Le narrateur intervient peu. Le discours de Sépulvéda est plat,
précis, indiscutable ce qui confirme l’impression qu’il a préparé un rapport.
2) Le système de défense de Las Casas :
Las Casas montre une application
plus sensible, personnelle : son esprit s’anime, il emploie des phrases
exclamatives (ligne 27 - ligne 30). Interjection : Eh bien ? (ligne 19). Il
construit son organisation au fur et à mesure. Si Las Casas prend des notes
c’est qu’il compte répondre point par point. Il reprend les paroles de
Sépulvéda et montre leur réversibilité. Sépulvéda dit qu’ils ignorent la valeur
de l’argent : Las Casas réplique ligne 19 par une subordonnée de cause, il
rebondit sur ce que dit Sépulvéda. Parallélisme ligne 26-27 immédiat : effet de
rime qui vient rythmer le dialogue. Il invalide aussitôt la portée critique du
propos de Sépulvéda. Même effet aux lignes 28-30 : argument malhonnête. Il suit
le fil du raisonnement de Sépulvéda. Las Casas répond souvent par des questions
: interrogation négative qui attend un acquiescement par défaut (ligne 30-35).
Il feint de s’étonner de l’ignorance de Sépulvéda pour l’humilier.
Transition
: le
présent de narration donne un caractère intemporel mais la question posée dans
le débat reste universelle car c’est une question de fond. Est-ce qu’un peuple
peut en asservir un autre ? Et au nom de quoi ?
II. Les enjeux du débat :
1) le respect de l’homme en tant qu’autre :
La notion d’altérité reste à
construire. Le respect dû à l’homme : abandon du préjugé, abandon de sa propre
supériorité. Sépulvéda accumule les constats de différence c’est parce qu’il
sait que l’Européen a peur d’être confronté aux différences des autres. Au
mieux, cette différence créée une surprise, au pire, elle entraine la peur et la
méfiance. Sépulvéda exploite cette méfiance pour interpréter leurs pratiques de
façon négative. Ces jugements de valeur apparaissent sous des figures de style
appuyées:
- Les comparaisons avec des
animaux (ligne 8-9) ont pour but de renier la nature humaine des Indiens.
- Les superlatifs (ligne 10-11)
isoler les indiens, les stigmatiser (critiquer violement)
- Modalisations péjoratives
(ligne 9-10 affreuses, grossièrement, détestable)
Pour Las Casas, la naïveté des Indiens (enfants ou nos idiots) est preuve de pureté, d’innocence. Pour lui,
"timides" et "lâches" prouvent qu’ils ont des mœurs
pacifiques.
2) La conscience de la relativité de
toutes cultures :
Cette valeur de Las Casas entre
en opposition avec le sentiment de supériorité de toutes cultures. Sépulvéda
répète 3 fois le verbe "ignorer" (ligne 7 - ligne 15 - ligne 17).
Sépulvéda se place dans un parti européocentriste. Sépulvéda manque de parler
de la relativité, il ne connait pas. Las Casas va renvoyer Sépulvéda a ses
déficiences (ligne 19-21). Les 7 péchés capitaux traversent le dialogue, en
dénonçant ces péchés-la, il met en valeur la vie pacifique des indiens. En
condamnant la polygamie, Sépulvéda montre qu’il n’a aucune bienveillance face
aux différentes coutumes.
Conclusion
: Dans le texte, il y
a 2 stratégies argumentatives :
- celle de Sépulvéda : autorité, dépréciation
systématique, analogie rapide et généralisation, européocentrisme brutal
- celle de Las Casas : prise en
compte de la parole de l’autre, le questionnement qui relativise, mise en
évidence des contradictions : humanisme bienveillant.
Au 16ème siècle, d’autres textes
sont allés dans le sens de l’altérité culturelle comme Jean de Lery : Voyage
en terre du Brésil.