Français : lecture analytique de Dom Juan, Acte V scène 5 et 6 de Molière



Molière, Dom Juan, Acte V, scène 5 et 6

Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière est né au XVIIème siècle dans une famille de riche bourgeois. Il se consacre au théâtre à 21 ans. Après un début difficile, il se faire remarquer par le frère du roi qui le prend sous sa protection. Sa troupe deviendra « la troupe de Monsieur ». Il écrit et joue de nombreuses pièces comme Les Fourberies de Scapin, Le Malade Imaginaire, Le Bourgeois Gentilhomme, L’Avare, Dom Juan. Dans ce dernier, écrit en 1665, Molière met en scène un noble, Dom Juan et son serviteur Sganarelle. Dom Juan est un libertin qui ne se prive de rien : il dépense de l’argent, il a des dettes, il quitte sa dernière femme qu’il va maudire pour aller en séduire d’autres. Au fils de la pièce ses adversaires se rapprochent de plus en plus de lui et dans l’extrait étudié, situé dans l’acte V scènes 5 et 6, Dom Juan finit par subir les conséquences de ses excès et de son refus de se corriger. Cela va le conduire à sa perte. En effet, il est amené à mourir. En quoi le dénouement de Dom Juan est-il caractéristique de l’esthétique baroque ? Pour répondre à cette question, nous étudierons le dénouement marqué par le mouvement, l’instabilité et le désordre. Puis nous verrons l’importance du spectacle et du surnaturel. Finalement nous montrerons que le rejet de ce texte des règles d’unité.

I.                   Un dénouement marqué par le mouvement, l’instabilité et le désordre

1.    Deux scènes courtes mais plusieurs péripéties : « pers » qui se succèdent rapidement sur scènes

            Les réplique sont courtes, on a affaire à des stichomythies : ligne 3-4 « Entendez-vous, Monsieur ? ; Qui ose tenir ces paroles ? Je crois connaitre cette voix. », ligne 6 et 9 « Spectre, fantôme, ou diable, je veux voir ce que c’est. ; O Ciel ! voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ? », ligne 20-21 « Donnez-moi la main. ; La voilà. ». La parole circule rapidement.

2.    Déplacements et gestes

a)   Dom Juan
Dom Juan a une attitude de défi face au spectre. Il veut tirer son épée et le frapper : (ligne 11) « Je veux éprouver avec mon épée si c’est un corps ou un esprit ».
Cette attitude de défi envers la statue se retrouve quand Don Juan rabaisse le spectre à l'état de chose : ligne 10 à 11 avec des termes comme « rien » et « un corps ou un esprit ».
Il est incrédule et catégorique : il répète « non, non » (ligne 10).

            De plus, il exprime l'impossibilité totale de rentrer dans les règles de la religion en disant « quoi qu'il arrive » à la ligne 15.
            A la ligne 25,  l’interpellation « O Ciel ! » semble être une marque religieuse envers Dieu qui le punit. Mais cette interpellation est suivit de la description de ce qu'il ressent : il semble qu'il ne sait pas ce qui lui arrive. Le « O Ciel » est en réalité une interjection qui prend un côté blasphématoire car il jure envers le Ciel qui le punit. 
            Aux lignes 25-26, le champ lexical du feu  « feu », « brûle », « brasier » nous fait part de ce qu'il ressent c’est-à-dire la chaleur mais il ne raconte pas ses remords et ne se lamente pas.
            Le personnage est empirique. Il a un côté matérialiste, il croit en ce dont il a fait l'expérience. Nous trouvons une gradation des sens : tout d'abord, l'audition « je connais cette voix » (ligne 4) ; ensuite la vision « je veux voir » (ligne 6) ; puis le toucher « éprouver » (ligne 11). Mais le spectre est immatériel. Par la suite, il parle avec la statue mais ça ne lui suffit toujours pas alors il la touche : « Donnez-moi la main. ; La voilà. » (lignes 20-21). Cependant à la fin de la pièce il n'admet toujours pas la présence d'une force supérieure avec la phrase interrogative ligne 25 « que sens-je ? ». Il est logique, inébranlable, incrédule jusqu'au bout.
            Parallèlement il a des mouvements contradiction. Tout d’abord des mouvements horizontaux car il avance, « allons suis-moi » (ligne 12), puis il recule « Donnez-moi la main. ; La voilà. » (lignes 20-21) et finalement il disparait dans un mouvement vertical « la terre s’ouvre et l’abîme ; et il sort de grands feux de l’endroits où il est tombé » (lignes 28-29).

     b) Le spectre et la statue
Sganarelle décrit les mouvements du spectre : « Oh monsieur je le reconnais au marché »  (ligne 5). Ce dernier est soumis à un mouvement horizontal « marcher » (ligne 5), alors qu’il devrait avoir un mouvement vertical car il vole (ligne 12) « Le Spectre s’envole dans le temps ».
La statue provoque un            problème dans la représentation car il s’affranchit au niveau de la gravité. L’extension de l’espace scénique habituelle est nécessaire avec les cintres et le dessous de la scène.
             
Les mouvements des personnages s’affranchissent des limites ordinaires de l’espace scénique : au-delà de la scène, ils s’étendent sur le haut et le bas. La multiplication les espaces affranchis est une des caractéristiques du baroque.

II. L’importance du spectacle et du surnaturel

1.    Ce qui se passe sur scène, c’est-à-dire le langage non-verbal.

Le langage non verbal joue un rôle essentiel dans ces scènes. En effet les didascalies qui appartient au visuel sont important surtout au XVIIème siècle car ils sont rares : ligne 7 « Le Spectre change de figure », ligne 12 « Le Spectre s’envole », ligne 27 à 29 « Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands claires sur Dom Juan ; la terre s’ouvre et l’abîme ; et il sort de grands feux de l’endroit où il est tombé. ».

2.             La manifestation du fantastique

Le spectre symbolise un fantôme effrayant les morts. Il s’agit d’un imaginaire collectif car c’est une figure surnaturelle des superstitions.
            Quand le spectre rentre, nous avons une hésitation dans le fantastique car nous pouvons encore supposer que c’est Elvire : ligne 4 « Je crois reconnaître au marcher ».
Le doute n’est cependant plus possible à partir de la ligne 7 : « Le spectre change de figure, et représente le Temps que sa faux à la main ». Le merveilleux est présent avec la transformation du spectre et l’allégorie du temps et de mort avec la faux.
Le statut du commandeur parle et est animé, ce qui révèle du merveilleux et de la divinité : ligne 17-18 « Arrêtez, Dom Juan. Vous m’avez hier donné parole de venir manger avec moi ». Il a un titre aristocratique « Commandeur », qui nous rappelle le commandeur tué par Dom Juan dont la fille a été séduite par Dom Juan.
Il se moque du statut commandeur, malgré sa surprise, il lui répond à sa demande de diner : lignes 17 à 19 « Vous m’avez hier donné parole de venir manger avec moi. ; Oui. Où faut-il aller ? » Il finir par faire de Dom Juan, sa victime.
            Dans la scène 6, il désacralise la statue. Cela paraît normal de la suivre de la toucher et de lui donner la main : « Donnez-moi la main. ; La voilà. » (lignes 20-21).

3.             La mort de Dom Juan

            Elle est marquée par l’ouverture de la terre et par le tonnerre c’est-à-dire le feu : « un feu invisible me brûle » ligne 25. Nous retrouvons une imagerie chrétienne avec la descente en enfer.
           
            Le recourt au visuelle, au fantastique, à l’imagerie chrétienne, à la démesure, à la machinerie, aux effets sonores, le rejet ou l’oublie de la vraisemblance comme valeur absolu du classique marquent les principales caractéristiques du baroque.

III. Le rejet des règles   

1.    La règle de bienséance

            La mort est représenté sur scène : lignes 25 à 29 : « Ô Ciel ! que sens-je ? Un feu invisible me brûle, je n'en puis plus, et tout mon corps devient un brasier ardent. ; Ah ! Le tonnerre tombe avec un grand bruit et de grands éclairs sur Dom Juan ; la terre s'ouvre et l'abîme ; et il sort de grands feux de l'endroit où il est tombé. »

2.             Le rejet de l’unité de ton à savoir le mélange des registres

a) Tragique
Il s’agit d’une comédie bizarre où des mouvements de la tragédie se mêlent. Nous remarquons le thème et le lexique de la mort : ligne 2 « sa perte est révolue », ligne 22 « une mort funeste », ligne 30 « Voilà par sa mort ».
Une force transcendant régit la destinée humaine : ligne 2 « Ciel », ligne 2 « la miséricorde du Ciel », ligne 23 « les grâces du ciel ». Sa perte est résolue : cela est mis en évidence avec la voix passive, aux ligne 15-16 « je sois capable de me repentir ». Dom Juan n’est pas maître de sa destinée.
Cette force transcendante doit être distinguée de la fatalité implacable qui apparait dans les tragédies antiques et les tragédies racinienne. Dans une tragédie, le personnage est condamné jusqu’à la mort à faire des choses contre sa volonté (comme dans Phèdre). Ici Dieu pardonnerait jusqu’au  dernier moment ; chaque homme est responsable de sa destinée en fonction de son attitude : il choisit de se libérer ou de se condamner. Jusqu’à la fin, le ciel offre sa miséricorde à Dom Juan qui peut encore se repentir. Mais ce dernier ne veut pas : ligne 22 « l’endurcissement au péché » et se condamne soi-même. Il s’agit là d’une perspective de la contre-réforme catholique.
Dom Juan est un libertin : il refuse de de changer, il va courageusement affronter la mort. Il a une certaine grandeur dans sa manière d’être

b) Comique
            Sganarelle porte les traits caractéristiques du comique avec :
- un comique de parole. Il est superstitieux et naïf : (ligne 5) « c’est un spectre ». Il donne une description absurde : « je le reconnais au marcher » (ligne 5). Il répète ce que tout le monde voit ce qui rend ses répliques redondantes et traduit sa stupéfaction : « voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ? », ligne 9.
- un comique caractère.
         Il est peureux et est prêt à tout, y compris le blasphème : ligne 5 « Ah ! Monsieur », ligne 9 « O Ciel ! ». Il utilise des exclamations / interjections qui soulignent sa lâcheté : « voyez-vous, Monsieur, ce changement de figure ? », ligne 9. Cette lâcheté s’oppose à son personnage moralisateur : aux lignes 13-14 « Ah ! Monsieur, rendez-vous à tant de preuves, et jetez-vous vite dans le repentir ». Il donne la morale à la fin : « Voilà par sa mort un chacun satisfait » aux lignes 30-31.
                        Il est opportuniste et cupide. Cela amène le doute sur son côté moralisateur et sur son lien avec Dom Juan. En effet, il est ridicule car, alors que son maître vient de mourir, il pense à son argent qui est un thème comique (qui s’oppose au théâtre tragique du fait de sa vulgarité et son inintérêt dans la noblesse) : ligne 30 et 34 « Ah ! mes gages ! mes gages ».
            Le décalage incongru révèle un personnage ingrat. Dans sa dernière réplique, qui fut supprimer dans les anciennes éditions car elle choquait, le langage de Sganarelle nous introduit à nouveau dans l’univers de la comédie car les victimes vengées, énumérés dans une gradation descendante, aux lignes 31 à 34 « Ciel offensé, lois violées, filles séduites, familles déshonorées, parents outragés, femmes mises à mal, maris poussés à bout, tout le monde est content », sont opposées à « moi seul ». Sganarelle est différents des autres et l’antithèse souligne son égoïsme. Dans sa dernière réplique, le lexique tragique est tourné au lexique comique.

Conclusion : Le dénouement de Dom Juan est caractéristique de l’esthétique baroque car nous retrouvons:
-  l’importance de mouvements majoritairement instables ;
-  la présence du surnaturelle sur scène en action
-  le non-respect des règles classiques comme l’unité de vraisemblance et l’unité de ton  
Opposé à ce dénouement baroque, le quasi-dénouement dans Phèdre dé Racine choisit de passer par le récit pour évoquer la mort d’Hippolyte.

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