Lecture analytique de Le Jeu de l'amour et du hasard, Acte I Scène 1 de Marivaux


Lecture analytique de L'exposition (I, 1) jusqu'à « ...cela m'inquiète »

Introduction :

L'exposition est la 1ere scène et elle consiste à présenter les personnages et leur passé pour qu'une intrigue puisse se poser. Le jeu de l'amour et du hasard commence par une conversation entre une jeune aristocrate parisienne Silvia et sa femme de chambre Lisette. Opposition sur le mariage entre Sylvia et Lisette sur le mariage de Silvia prévu par son père. Silvia doit se plier à une coutume : les enfants de famille noble doivent se marier sans même se connaître.

Problématique : Comment la tonalité et les thèmes principaux de la pièce soit-il mis en place ?

I/ Une entrée pleine de vivacité

1/ Action présentée dans sa continuité

L'échange entre Silvia et Lisette commence au milieu d'une dispute argumentative. « Encore une fois » suggère que la dispute a déjà commencé avant le début de la pièce. Le présent de narration est utilisé « votre père me demande » ce qui renvoie à un hors scène, un moment antérieur. Le début est inscrit dans une continuité ce qui rend la pièce plus vraisemblable, plus dynamique. La captation du spectateur est immédiate.

2/ Le rebondissement des répliques

Il n'y a pas de tirade, que des répliques courtes issues de la tradition italienne « commedia dell'arte ». Le ton est animé, ce sont des répliques rapides. Silvia aura plus de longues répliques, car cela laisse augurer que c'est le personnage principal. Enchaînement de phrases interrogatives. Le dialogue commence par une question véhémente : « de quoi vous mêlez-vous ? » et le dialogue est souvent relancé par des questions pour interpeller l'interlocutrice et l'inviter à justifier sa pensée. Les questions entretiennent le débat : ligne 8-9 « le mariage aurait donc de grands charmes pour vous ? » ; lignes13-14 « de quoi le vôtre ... de personne ? » ; ligne 24 « Quoi ... vous destine ? »

Le dynamisme de cet enchaînement passe par la façon dont les répliques rebondissent : (ligne 8) Silvia répète mot pour mot la réplique de Lisette pour se moquer de sa femme de chambre ; (ligne 11) Silvia ordonne théoriquement à Lisette de se taire : donne de l'énergie à la pièce
Silvia commence souvent leurs répliques par une dénégation « ce n'est pas mon dessein » « c'est qu'il n'est pas nécessaire », « c'est que tu n'as pas dit vrai » cette dénégation sert à préciser ce qu'on pense ou ressent réellement.

Transition :
Cette tonicité de la parole liée au statut particulier des 2 femmes met en valeur certains thèmes qui seront au cœur de l'intrigue.


II/ L’annonce des enjeux de l'intrigue

1/ La question de l'amour et de l'émancipation féminine

Le mariage arrangé par un père est un classique de la comédie du 17eme. Marivaux commence par des répliques faisant référence a ce type de mariage, il se place dans la lignée des pièces moliéresques, mais ce qui diffère immédiatement de cela, c'est que le père s'est soucié de l'avis de sa fille, il l'a demandé : discours rapporté apporte un recul supplémentaire a cette question, ça augmente l'impression que c'est une affaire pesée, prise avec précaution, mûrement réfléchie, le père n'est pas intransigeant. L'envisagement que Silvia puisse donner son consentement présage l'émancipation féminine, Marivaux est pour. La question de la primauté sociale est un terme très développé chez les lumières.
Deux conceptions du mariage s'opposent :

  • Lisette qui y aspire de façon inconditionnelle « le non n'est pas naturel » présent gnomique, c'est un argument d'autorité.
  • Silvia est du côté de la contestation, remise en cause de cette évidence, de ce principe. Elle récuse son mariage. Au 18eme on reconnaît unanimement le sacrement du mariage. Elle craint d'être mal mariée. Elle utilise le conditionnel ligne 11 « aurait donc de grands charmes pour vous ? »

2/ La relation entre maîtres et valets

La relation entre Silvia et Lisette révèle à la fois de l'autorité et de la complicité. Ilva qui se fâche contre sa domestique se moque d'elle, elle lui intime le silence. Leur complicité existe tout de même, car Lisette contredit Silvia et cette dernière le supporte. Marivaux place des doubles sens, des ambiguïtés qui annoncent l'inversion des rôles de la suite de la pièce :

  • On passe de « vous » à « tu » : passage au tutoiement, brouillage de la frontière qui sépare le maître du valet et annonce discrètement l'inversion, ligne 7 : Silvia reprend le « vous » alors qu’elles sont seules.
  • « Pourquoi répondre de mes sentiments ? » et l'hypothèse de Lisette « si j'étais votre égal nous verrions » évoquent la possibilité d'une inversion des rôles alors qu’aucune des 2 ne savent qu'elles vont prendre le rôle de l'autre et vont devoir se projeter dans le ressenti de l'autre.

Conclusion :

L'enjeu dramatique est partiellement posé. En 15 répliques on apprend que : le père de Silvia a un projet de mariage et qu'elle s'en méfie au point de le contester. Silvia et Lisette sont en désaccord sur le sujet. À la fin de la scène 1, on ne sait pas encore tout : qui est le mari pressenti par Morgon ? Est-ce que celui-ci est d'accord pour le mariage ? Silvia va-t-elle se résoudre au mariage ou fuir ? Une exposition peut durer plusieurs scènes, la scène va distiller l'information pour créer un effet d'attente. On sait que l'on est dans le registre de la comédie : tonalité vive, animée. Silvia et Lisette font face à une dispute cordiale. Le spectateur peut espérer un divertissement ou les péripéties ne manqueront pas. Silvia croit en l'amour, mais a peur du hasard, et ne veut pas jouer (risquer) son bonheur. On verra plus tard qu'elle doute de la pertinence du hasard et elle veut faire un choix sincèrement amoureux, c'est pour ça qu'elle aura l'idée de jouer un rôle. En effet, elle aura l'idée de se déguiser en Lisette pour pouvoir observer Dorante à loisir.