Français : lecture analytique du Mariage de Figaro, Acte III Scène 5 de Beaumarchais




Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, Acte III, Scène 5


Beaumarchais, né en 1732 et mort en 1799, est un dramaturge du XVIIIème siècle. Bien qu’il ne soit pas un philosophe, il est associé au mouvement des Lumières avec lesquels il partagent leurs préoccupations et leurs valeurs. Le mariage de Figaro est le deuxième volet d’une trilogie, composé également de Le Barbier de Séville, le premier volet et La Mère Coupable, le troisième volet. Cette pièce a été jouée pour la première fois en 1784. Figaro, le personnage éponyme veut épouser Suzanne mais le Comte Almaviva cherche à séduire cette dernière et à profiter de son droit seigneurial qu’il avait abolit. L’extrait étudié est situé dans la scène 5 de l’acte III. Au début de l’acte III, le comte cherche à savoir si Figaro est au courant de ses intentions véritables. Figaro a entendu la fin du monologue et sait que le but du Comte est de déterminer si il sait vues du Comte sur Suzanne. La scène 5 nous propose un duel entre le Comte et Figaro. Quels sont les caractéristiques et les enjeux de ce duel ? Pour répondre à cette question, nous verrons, tout d’abord, les caractéristiques et les enjeux dramatiques de cette scène, puis nous étudierons les enjeux argumentatifs.


I.                   Les caractéristiques et enjeux dramatiques

1.             Les caractéristiques

Cet échange entre le Comte et Figaro est caractérisé par :
-  des répliques courtes et parfois même des stichomythies, surtout au début de l’échange : « Autrefois tu me disais tout » et « Et maintenant je ne vous cache rien » lignes 10 à 11.
-  des répliques esquives pour éviter le duel et l’affrontement : « Ma foi, Monseigneur, vous le savez mieux que moi » ligne 77. Le Comte demande à Figaro pourquoi Roseline à jouer un tel tour et sa réplique contourne et évite l’affrontement.
-  un enchainement de répliques sur le type de l’attaque / ripostes. Par exemple à la ligne 83 à 85 : « Combien la Comtesse t'a-t-elle donné pour cette belle association ? », « Combien me donnâtes-vous pour la tirer des mains du docteur ? » avec un parallélisme de construction.
-  mais également un enchainement de répliques sur le type de l’attaque / contre- attaque. Lorsque le Comte attaque à la ligne 92 avec « Une réputation détestable ! », Figaro réplique avec une question rhétorique à la ligne suivante « Et si je vaux mieux qu'elle ? y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? » 
-  les assauts de Figaro sur la politique avec par exemple la petite tirade sur la politique, aux lignes 119 à 130, qui peut-être comparé à une provocation avec un lexique du combat avec « forces », « tailler », « bien ou mal », « espions », « traîtres », « amollir », « intercepter », « je meure ! ».

2.             Les enjeux dramatiques

Les enjeux dramatiques est de savoir si l’autre sait, c’est-à-dire que le Comte cherche à découvrir si Figaro sait. Mais en même temps, l’enjeu est de cacher ce que le personnage sait, c’est-à-dire que Figaro doit cacher ses connaissances au Comte. Ce duel ressemble à un jeu de cache-cache composé de différentes phases.
Ces étapes du duel sont :
-       le bilan de ce qui a précédé des lignes 71 à 74. Il s’agit du point de départ du second mouvement de la scène. L’avantage est à Figaro car le comte ignore que Figaro sait. Ce dernier veut en profiter et lance une attaque contre le Comte mis en évidence avec l’aparté « travaillons-le un peu, dans son genre » ligne 72 à 73.
-       le comte, qui pense avoir gagné, essaie d’en savoir plus sur un autre sujet et donc lance une nouvelle attaque pour savoir le lien entre la Comtesse et Chérubin « Quel motif avait la Comtesse, pour me jouer un pareil tour ? » ligne 75 à 76. Cela conserve l’intrigue secondaire jusqu’à l’aparté «  Voici du neuf » ligne 101. A ce moment-là, Figaro a toujours l’avantage.
-       Figaro, à son tour, lance une nouvelle attaque qui projette dans l’aparté « À mon tour maintenant » ligne 102. La contre-attaque vise à rendre jaloux le comte et à l’agacer pour l’amusement de Figaro. L’attaque réussi mais sur le plan dramatique, ce péché d’orgueil qui poussa Figaro à aller plus loin, va déboucher sur une défaite car il dévoile trop ce qu’il sait.
-       un nouveau bilan, parallèle au premier montre que le Comte à gagner ce qui est mis en évidence avec l’aparté « Il veut rester. J'entends... Suzanne m'a trahi » ligne 135. Ce bilan montre également que Figaro croit avoir gagné, ce qui est mis en évidence aussi avec l’aparté « Je l'enfile et le paye en sa monnaie » ligne 137 : il a réussi à énerver le Comte mais il a dévoilé ses connaissances. Il a donc perdu.

Sur le plan dramatique, la situation s’inverse en quelques répliques avec les stichomythies.  C’est une défaite de Figaro, même si sur le plan verbal, il a réussi à démontrer qu’il peut manipuler le Comte.

II.                Les enjeux argumentatifs

1.      La critique morale

Figaro reproche au comte d’être infidèle. La question rhétorique « Sait-on gré du superflu, à qui nous prive du nécessaire ? » ligne 79 à 80, rend compte d’une maxime avec le « on » impersonnel et le présent de vérité générale. Cela rend sa question rhétorique plus dynamique et plus accusative.
Le reproche du valet envers le maître est un aspect conventionnel, déjà dans les pièces de Molière avec Dom Juan, Sganarelle fait des reproches sur les écarts de conduites de son maître.

2.      La critique sociale

Ensuite dans ce duel, nous abandonnons la sphère de la morale pure pour la critique explicite de Figaro sur les injustices sociales.
Figaro accuse la mal honnêteté du Comte par des sentences qui le mettent en garde. Certes, il y a des oppositions entre eux deux, mais il ne faut pas négliger leur point commun. Trois mots se détachent aux lignes 86 et 87 « Monseigneur », « homme », « valet ». Au centre le mot homme est ce qui est à mettre en facteur commun aux différentes classes sociales. En effet la différence des catégories sociale ne doit pas touché la nature commune des hommes.
Deux questions rhétoriques fond émerger que les valeurs morales et humaines d’un individu sont indépendant du statue sociales : « Et si je vaux mieux qu'elle ? y a-t-il beaucoup de seigneurs qui puissent en dire autant ? » lignes 93 et 94.
Nous avons affaire à deux critiques qui visent l’aristocratie qui s’attribue une supériorité naturelle qui est illégitime.
Figaro dénonce également l’individualisme du Tiers-Etat : chacun est prêts à écraser les autres pour les intérêts personnel, ce qui est mis en évidence avec la juxtaposition de propositions courte qui forme une parataxe « chacun veut courir, on se presse, on pousse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut; le reste est écrasé » lignes 97 à 100. La gradation souligne l’agitation de la foule prête à tout pour gagner de l’argent.

L’originalité de cette scène est que seule cette critique de la société, qui met en cause le Tiers-Etat, est faite par le valet. Cela montre une absence de solidarité au sein de cette catégorie sociale. Par ailleurs, l’autre critique sociale dénonce les abus sociale des aristocrates. Cela apparait déjà chez Molière mais généralement cette critique sociale est faites par des bourgeois et / ou des nobles et non pas par le valet.

3.      La critique de la politique

Figaro définit la politique par une série de phrase juxtaposée « Mais, feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore, d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend, surtout de pouvoir au-delà de ses forces ; avoir souvent pour grand secret de cacher qu'il n'y en a point ; s'enfermer pour tailler des plumes, et paraître profond, quand on n'est, comme on dit, que vide et creux; jouer bien ou mal un personnage ; répandre des espions et pensionner des traîtres; amollir des cachets ; intercepter des lettres; et tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets » ligne 119 et 130. La parataxe souligne que la politique est une action plutôt compliqué.
Cette complexité est aussi mis en évidence avec le chiasme « ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore » ligne 119 et 120. Nous retrouvons également un lexique de l’espionnage « entendre », « ouïe », un lexique de la tromperie « feindre », « cacher », « tailler », « paraître », un lexique du théâtre « personnage », « jouer », « paraitre », « feindre », et finalement un lexique du vide / néant « vide », « creux », l’accumulation de négation, ce qui souligne que la politique n’a pas de contenu propre mais relève du jeu, du théâtre et de l’espionnage.
Figaro reprendre sa critique avec la juxtaposition de termes « La politique », « l'intrigue », « volontiers ». Le terme « intrigue » souligne un ensemble de combinaison plus ou moins compliqué visant à faire réussir une affaire, une intrigue (qui au sens théâtrale désigne un ensemble d’évènement qui forment le nœud de l’action).
Nous avons une connotation négative : la politique est présentée comme une dissimulation alors que la politique au sens noble du terme, c’est l’art de bien diriger une communauté.

Cet aspect de la critique est propre au théâtre du XVIIème siècle. L’efficacité de la double énonciation fait ces preuves ici avec Beaumarchais qui fait passer à travers de son porte-parole Figaro, ses idées. De plus Beaumarchais a été pendant un temps un espion : il fait une autocritique.


Conclusion : ce duel est organisé de la même manière qu’un combat réel avec des attaques, des esquives, des contre-attaques. Il présente deux enjeux majeurs :
-       l’enjeu dramatique : d’un point de vue de l’intrigue le comte gagne ce duel après une défaite et d’un point de vue psychologie Figaro remporte la scène car il arrive à énerver le Comte.
-       l’enjeu argumentatif : l’auteur profite de cette scène pour faire passer ses idéologies / convictions avec une critique originale morale, sociale et politique de la noblesse et du Tiers Etat
Cette scène nous montre l’efficacité de la double énonciation avec Beaumarchais qui fait de Figaro son porte-parole.