Lecture analytique de Le Jeu de l'amour et du hasard, Acte II Scène 3 de Marivaux



Lecture analytique : Arlequin courtise Lisette (II, 3)

Introduction :

Comédie de Marivaux, 1ere représentation en 1730. 2 jeunes nobles Silvia et Dorante doivent se marier. Silvia et Dorante ont conçu un stratagème : échanger son rôle avec celui de son valet. Ces derniers se sont rencontrés à la fin du premier acte et sont étonnés de se plaire. Maintenant, c'est au tour des valets de se trouver seuls. On sait à partir de l’acte I, scène 1 qu’Arlequin éprouve une attirance pour Lisette (récit de Lisette) on s'attend donc à une scène galante.

Problématique : Comment cette scène fait écho de façon burlesque au badinage amoureux de Silvia et Dorante ?

I/ La symétrie avec la tête à tête galant de Silvia et Dorante

1/ L'opposition entre l'homme qui courtise et la femme qui modère

Comme entre Silvia et Dorante, la tradition galante est que l'homme courtise et la femme esquive. Le quiproquo renforce l'opposition, car la femme résiste à un homme d'une autre condition sociale. Silvia résiste par peur de la mésalliance alors que Lisette est impressionnée, elle a peur de décevoir. Lisette va donc tempérer le terme d'amour prononcé par Arlequin : ligne 4 l’emploi du conditionnel « ne saurait » et négation restrictive ligne 5 « ce n'est tout au plus ». Arlequin, lui, est dans la confirmation ligne 6 : « un amour » et formule explicitement sa déclaration ligne 22 « je vous aime », il loue sa beauté : « belle main blanche ». Il prend le « miroir » pour témoin et utilise des adjectifs « mignonne, adorable ». Il utilise également quelques lieux communs de la séduction : « baisemain ». Lisette lui pose la question de la raison : « ne faut-il pas avoir de la raison ? » cela montre qu'elle est consciente de son rôle. Elle calque son comportement sur celui qu'elle pense être celui de sa maîtresse. Une réserve la retient en guise de loyauté envers Silvia. L'intervention du valet à la fin est un lieu commun théâtral pour stopper une scène, ici, le jeu de la séduction.

2/ Une attirance réciproque

L'échange vient montrer les progrès du sentiment, les répliques rebondissent et sont brèves, vives. Ils filent la métaphore de l'amour sur 4 répliques. Ils reprennent parfois un mot de l'autre pour construire leur réplique c'est d'ailleurs une des caractéristiques du dialogue de Marivaux : « raison » ligne 18-19, « miroir » ligne 23-24. Lisette lui abandonne sa main ce qui traduit une certaine confiance, complicité. C'est un échange fluide, ininterrompu, au contraire de Silvia qui repoussait constamment Dorante.

Tradition : La trame des 2 échanges a des points communs, mais les personnages sont autres. Arlequin prend la place d'un gentilhomme, il essaye d'adapter les codes comportementaux, mais il reste ce qu'il est. Dans la commedia dell'arte, Arlequin est un personnage bon vivant, gai : il donne une tonalité burlesque à la scène.

II/ La parodie d'une scène galante

1/ Une impatience comique

La différence entre la cour patiente et mesurée du vrai Dorante et le comportement jouisseur d'Arlequin est marquée. La première réplique le signifie explicitement, l'effet comique vient du mot « bonhomme » et de la tournure familière qui consiste à reprendre le pronom « il » (tournure emphatique). Toute la scène est caractérisée par l'empressement d'Arlequin. La métaphore de l'amour enfant : Cupidon, devient burlesque, car il parle de son accélération de croissance : il emploie des impératifs : « tachons », « ayez », « donnez-lui », il y a également des indications scéniques qui montrent son empressement. Lisette lui donne sa main pour faire diversion, pour qu'il attende. L'outrance caricaturale du jeu crée un comique de geste (Arlequin lui « dévore » la main). La comparaison entre l'amour et le vin (« roquille ») révèle le comportement bon vivant d'Arlequin, il aime les plaisirs immédiats. Silvia luttait « cérébralement », intellectuellement : ne pas lui céder les sentiments. Alors qu'entre Arlequin et Lisette, cette dernière lutte physiquement, l'empêche d'aller plus loin. Les principes de vie d'Arlequin sont : prendre ce qui est possible, profiter de l'instant présent sans se poser de question : « Je ne me soucie pas de ce qui est possible » : Arlequin ne s'étonne pas d'avoir séduit une femme de condition.

2/ Le décalage du langage

Arlequin s'efforce d'adopter un langage, il a conscience de son rôle. Il use d'un langage précieux qu'il mêle à des formules familières, ce contraste crée un effet comique. Par exemple, il allégorise l'amour sous la forme d'un bébé ce qui fait partie de l'imagerie précieuse or ici, la métaphore est filée de façon si concrète et si longue que la métaphore devient burlesque : « prend des forces » « grand garçon ». Les tirades sont rares chez Marivaux, on remarque celle-ci de façon parodique. La métonymie « vos beaux yeux » désigne la femme est un lieu commun précieux qui choque, car il est utilisé avec « filou ». Il parle comme un enfant « joujou », comportement infantile, puéril. Arlequin échoue à essayer de donner un ton lyrique a son discours. Marivaux lui fait dire un alexandrin qui semble involontaire ligne 19-20 avec une allitération en « l », l'involontariat crée un effet comique. Il croit se comporter en gentilhomme alors qu'il sombre dans la parodie. On peut supposer que ce contraste est souligné par son costume de Dorante, de maître. Lisette a un langage plus proche de sa maîtresse qu'Arlequin, mais certains éléments tranche avec son statut de servante. Elle emploie le pronom « on » ligne 10-13, cette prise de distance montre qu'elle cherche à imiter Silvia. « Petit importun » désignerait plutôt un valet que Dorante ce qui produit également un effet burlesque, il a aussi pour effet d'infantiliser Arlequin. Lisette et Arlequin font une série de décalage burlesque ce qui renforce la complicité entre le spectateur et Marivaux. Au moment du baisemain, on peut imaginer que Lisette procède à une gestuelle exagérément maniérée.

Conclusion :

Le quiproquo n'a pas le même effet sur les personnages selon leurs conditions. Le déguisement de Silvia et Dorante leur pesait alors que pour Lisette et Arlequin, le déguisement leur donne un nouveau pouvoir. Arlequin laisse libre cours à un "joyeux appétit". Lisette se réjouit de plaire à un aristocrate. Ils mêlent joyeusement l'imitation de leurs maîtres et leurs manières habituelles. Ils font écho à l'acte I scène 7. Marivaux s’amuse à jouer de la tradition farcesque : divertir le public en offrant une parodie : Arlequin et Lisette vont-ils pouvoir continuer à les renseigner loyalement ? Comment vont-ils apprendre qu'ils ne sont pas nobles ?