Lecture analytique du Chapitre 19, le nègre de Surinam, de Candide ou l’optimisme, de Voltaire



Introduction


Voltaire est un des quatre grands philosophes du XVIIIème siècle et a marqué le XVIIIème siècle. Cet auteur a une certaine verve satirique qui le fait craindre de tout le monde. Il est le précurseur du conte philosophique. C’est une écriture littéraire qui permet de véhiculer les connaissances philosophiques, et qui s’adresse aux adultes pour former leur esprit critique. Le conte philosophique est un genre particulièrement apprécié. Candide est le conte philosophique de Voltaire le plus connu, car le plus recherché dont le titre est éponyme, et on retrouve, caché entre les lignes, plusieurs critiques de sa société On suit l’évolution intellectuelle de Candide, un personnage éduqué dans la philosophie de l’optimisme, qui apprend l’existence du mal. Leibniz était un philosophe allemand à l’origine de cette philosophie de l’optimisme, « tout est infiniment bien dans le meilleur des mondes ». Quand Candide est renvoyé du château de Thunder-ten-truck à cause d’un baiser à Cunégonde, la fille du baron, maître des lieux, il découvre toutes les manifestations du mal. Dans le chapitre 18, Candide se trouve dans l’Eldorado (le pays de l’or) qui représente une Utopie qui permet à Voltaire de faire apparaître l’image d’une société idéale. Candide doit partir de l’Eldorado pour retrouver Cunégonde qui est le fil conducteur du conte. Dans une première partie, nous parlerons de l’originalité de l’auteur pour aborder la critique puis les différentes cibles de la dénonciation. 


En premier lieu, on a une variété d’écriture : à travers ce passage, on distingue une certaine dynamique. Voltaire utilise différents procédés d’écritures pour présenter sa critique. D’abord, on a une écriture narrative de la ligne 1 à 3 : le verbe « rencontrèrent » au passé simple qui introduit une surprise et l’imparfait qui a une valeur descriptive. Ensuite, il y a une intervention du style direct-dialogue, de la ligne 3 à la ligne 11. Le nègre rapporte, après, les propos de sa mère, de la ligne 11 à 16, ce qui nous donne un avis supplémentaire. On a donc là une mise en abîme qui est traduite par une distance introduite par l’imparfait « elle me disait ». Puis, on trouve un monologue qui introduit le jugement du nègre sur sa condition et enfin, il y a un dialogue entre Candide et Cacambo. C’est la première manifestation de Candide contre l’optimisme. 

La neutralité du ton choque le lecteur. On est devant une situation horrible avec une certaine résignation de la part du nègre puisque celui banalise, accepte et semble même trouver sa situation normale. On a affaire à un constat.

En premier lieu, cette notion de constat s’appuie sur le jugement de l’homme : une erreur dans les jugements de valeur qui introduit une honte chez le lecteur. On repère le verbe d’action « rencontrèrent » au passé simple qui introduit un effet de surprise et le pronom personnel « ils » qui représente Candide et son valet, Cacambo.  Cette notion de constat se retrouve dans le récit parce que l’on découvre le personnage au fur et à mesure, et plus on avance et plus le récit est horrifiant. La tenue vestimentaire introduit le milieu social de l’homme : « n’ayant plus que la moitié de son habit, c’est-à-dire d’un caleçon de toile bleue ». La juxtaposition des deux phrases, ligne 2, dédramatise l’horreur de la scène. Le verbe « manquer » est censé atténuer.
La particularité de l’écriture narrative est que le verbe d’action cultive l’illusion de rencontrer une personne intéressante. On a une abstraction du décor. 


Ensuite, on retrouve cette impression de constat, avec un autre moyen de banaliser la situation : Candide parle en hollandais (alors que sa langue natale est l’allemand) et le nègre lui répond dans cette langue ce qui signifie qu’il a oublié la sienne. Le fait que Candide parle en hollandais montre sa capacité à s’adapter, mais il traduit son acceptation vis-à-vis de la perte de l’identité du noir. L’appellatif « mon ami » le met au même niveau que le nègre. De plus, il le tutoie ce qui traduit sa compassion. On s’attend à un réquisitoire qui accuse l’esclavage, de la part du nègre. Au contraire, il est résigné. Il va expliquer naturellement ce qui lui est arrivé à cause du Code noir. Ce code est un texte juridique élaboré à l’époque de Colbert, et qui avait la prétention de protéger la condition des esclaves noirs. Pour défendre la condition humaine des esclaves, on ne pouvait vendre un esclave sans famille, mais les mariages mixtes étaient interdits pour éviter le mélange des mœurs. Pour empêcher toute contestation, on imposait des sévices : si un esclave essayait de s’enfuir, on lui coupait les oreilles et le marquait de la fleur de lys. S’il récidivait, on lui coupait le jarret et on finissait par le tuait. Cela montre la déshumanisation des noirs. Le noir est étendu par terre et dans une situation de soumission : ce n’est pas l’attitude d’un homme, mais plus celle d’un animal. On a un contraste entre l’immobilité du noir et la liberté de mouvement du blanc. On devine une certaine ironie de la part de Voltaire, avec le fameux négociant Vanderdendur : on comprend Vendeur à la dent dure, ce qui exprime la cruauté du négociant. Dans structure de la phrase du noir « on nous donne un caleçon de toile », « on nous coupe la main », « on nous coupe la jambe », on remarque trois occurrences de « on a », ce qui donne un rythme ternaire : le seul moyen de supporter cette vie c’est de se résigner. 

Enfin, on distingue la notion de constat dans le discours de la mère du nègre, rapporté par celui-ci. Ce ne sont pas les propos qu’une mère tiendrait à son fils. Les valeurs que l’enfant à entendues de la bouche de sa mère lui ont été inculquées dès le plus jeune âge.

Voltaire décrit l’inhumanité des blancs et de la traite des noirs en banalisant la situation du nègre. On remarque, cependant, qu’à travers le récit et les paroles de l’esclave, Voltaire établit une dénonciation de plusieurs cibles. 

D’abord, on a une critique de l’esclavagisme, tant sur le plan physique des esclaves maltraités que sur le plan moral : l’esclave, dans les propos qu’il tient, montre qu’il est incapable de penser par lui-même ; il n’a pas d’identité linguistique. Il a été victime d’un accident de travail. Il semble trouver cela normal et se présente comme un exemple à ne pas imiter et dans la mutilation de sa jambe, il semble prêcher à ne pas tenter de s’évader. Sa résignation exprime le fait que la contestation est une erreur, pourtant l’esclavage est une atteinte à la dignité humaine. L’esclavage est légiféré, car il permet d’enrichir les Européens : lignes 8-9, on trouve un euphémisme de la part de l’auteur qui lui permet d’introduire une ironie « C’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe », ce qui traduit la notion de distorsion entre la destruction d’hommes pour la gourmandise d’autres hommes. Voltaire montre l’horreur de l’esclavagisme : L’homme est capable de tuer ou de mutiler pour sa seule gourmandise. 

De plus, on découvre une contestation du pouvoir religieux : chez Voltaire, la religion est le sujet le plus important. Voltaire avait le pouvoir de s’insurger contre l’injustice et il était horrifié par l’hypocrisie des hommes d’Église et l’intolérance. On reconnaît le champ lexical de l’Église avec ligne 3, « mon Dieu ! », ligne 18 « bénis » et ligne 27, « Adam ». On distingue, dans les propos de la mère du nègre, des références à la religion : « bénis nos fétiches » qui correspondent aux croyances populaires et traditionnelles des esclaves (objets sacrés). À la ligne 20, « les fétiches hollandais » sont les prêtres vénérés par la mère de l’esclave. Les prêtres ont atteint leur but et la mère croit tout ce qu’ils lui ont dit. On perçoit un paradoxe dans les paroles des hommes d’églises « nous sommes tous enfants d’Adam, blancs et noirs », et pourtant les blancs tuent les noirs. Cela montre l’hypocrisie et la cruauté des prêtres. Dans les paroles de la mère, « ils te feront vivre heureux » et pourtant, les blancs les mutilent. La mère voit son enfant comme un objet. Comment une femme peut-elle vendre son fils. La mère est venue à penser comme un blanc. Ligne 25, on retrouve l’ironie de Voltaire, « Or vous m’avouerez qu’on ne peut pas en user avec ses parents d’une manière plus horrible ». 

Enfin, on a une critique de l’optimisme. À travers le terme « tu n’avais pas deviné cette abomination », Candide s’adresse à Pangloss, qu’il croit mort, car il l’a vu être pendu, car le philosophe pensait que dans chaque malheur dans le monde, il y avait l’action du bien. Candide prend conscience de sa propre naïveté, dans le sens qu’il a été manipulé par un discours faux qui gommait l’existence du mal. Cela a pour effet de changer son attitude et le rend plus indépendant : il faut qu’il réfléchisse par soi-même. Il doit se libérer de cette façon de penser et condamner l’exploitation de l’homme par l’homme. « La rage de soutenir que tout est bien quand on est mal » qui est la définition de l’optimisme donné par Candide après qu’il ait vu le nègre montre l’hypocrisie de cette philosophie. Candide pleure, mais il s’en va ce qui montre qu’il n’est pas encore mature puisqu’il se résigne également à la condition du noir. Cependant, il a pris conscience de l’erreur de l’optimisme. 

Conclusion

Cet extrait du chapitre 19 de Candide repose sur un constat neutre de la traite des noirs. Le philosophe décrit la cruauté des blancs qui n’hésitent pas à mutiler les noirs, pour leur propre plaisir et leur gourmandise, et la résignation du nègre sur sa condition. Cependant, on décèle la dénonciation de l’auteur à propos de la religion et surtout de l’injustice faite aux noirs, notamment grâce à l’ironie de Voltaire. Le lecteur est amené à avoir honte d’avoir suivi le mouvement de banalisation sur la traite des noirs qu’adopte l’esclave résigné, et est entraîné à s’indigner contre  cette iniquité contre laquelle le philosophe a décidé de se battre.